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Critique de Fremont

 Une perle sublime, drôle et décalée

Comment évoquer la situation d’un⸱e immigré⸱e, ses difficultés, ses espoirs, l’entremêlement de ses vies anciennes et nouvelles ? C’est une question qui agite le cinéma contemporain et à laquelle beaucoup de films tentent de répondre. Et pourtant, Fremont ne ressemble à aucun autre. 


La situation de sa protagoniste, Donya (Anaita Wali Zada), est à la fois exceptionnelle et banale : traductrice afghane pour l’armée américaine, elle a réussi in extremis à rejoindre les États-Unis lors de leur retrait en 2021. Depuis, elle vit dans une sorte de motel sans âme et travaille dans une petite usine familiale qui produit des fortune cookies, ces biscuits chinois dans lesquels on trouve un petit message annonciateur de chance ou de malchance.


La force de Fremont tient d’abord dans son écriture naviguant entre conte poétique et comédie décalée. On ne sait jamais si une scène va poursuivre une douce contemplation ou virer dans un absurde étrange, frôlant la gêne. À l’image du comportement de son personnage principal, souffrant probablement de traumas liés à sa vie en Afghanistan, toutes les interactions humaines semblent empêchées, même quand elles se veulent chaleureuses. Les discussions de Donya avec son psychologue, ses collègues ou ses patrons sont particulièrement savoureuses et parfois hilarantes.


L’interprétation des acteurs et actrices y est pour beaucoup, en premier lieu celle d’Anaita Wali Zada. Malgré le mutisme de son personnage, elle fait passer énormément de sentiments par ses sourires et ses regards - un regard caméra, en particulier, risque de vous déchirer le cœur. Mêlant force et fragilité, malice et perdition, désir et interrogation, sa performance est une raison suffisante pour découvrir le film. Mais les autres acteur⸱ices le lui rendent bien, même pour les rôles les plus secondaires. Notons en particulier Gregg Turkington en psy maniaque et (beaucoup) trop investi.


Visuellement, Fremont se distingue aussi par son choix d’un noir et blanc absolument magnifique. Ici c’est le blanc qui prédomine et plus le film avance, plus il semble lumineux, touchant presque la couleur sans en contenir pourtant aucune. Son format 4/3, soit presque carré, évoque autant l’enfermement et les doutes de son héroïne que la tradition photographique dont il s’inspire allègrement. En effet, Fremont est un vrai film de photographes de rue. On pense à Robert Frank ou à Vivian Maier, aussi bien pour leurs cadres que par leur capacité à sublimer des personnes dans des situations courantes et à en extraire des sens saisissants.


Un concours de circonstances va amener Donya à écrire les messages qui seront ensuite placés dans les cookies. Cette sous-intrigue donne naissance à une suite d’événements imprévisibles à la fois tristes et poignants. Le cinéaste Babak Jalali ne prétend à aucun moment raconter un parcours type mais, à travers une histoire qui frôle le conte, décentre notre vision du monde pour la placer dans le point de vue d’une personne dont les repères sont bouleversés. Et il nous dit que la solution n’est peut-être pas de normaliser son rapport au monde mais plutôt d’accepter le fil du hasard et ses voies inattendues.


Il est en tout cas certain que Fremont est une perle du cinéma indépendant américain, un concentré de beauté plastique et de tendresse pour ses personnages. Au fond, les fortune cookies ne jouent pas tant un rôle prophétique qu’ils ne soulignent la variété de nos états. Chaque rencontre, dans le film, contient en elle autant de promesses que de déceptions. Avec Donya, nous apprenons que le bonheur se cache parfois dans le plus étonnant des imbroglios. Faire confiance à la chance ? Plutôt l’imposer. 



RÉALISÉ PAR : BABAK JALALI

AVEC : ANAITA WALI ZADA, JEREMY ALLEN WHITE, HILDA SCHMELLING

PAYS : ÉTATS-UNIS

DURÉE : 91 MINUTES


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