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Photo du rédacteurJulien Del Percio

Critique de Nosferatu, le cauchemar de Noël

Dernière mise à jour : il y a 5 jours

Nosferatu, de Robert Eggers
© Universal Pictures BE

Depuis la sortie de The Witch en 2015, le cinéaste Robert Eggers a développé une œuvre effrayante et érudite, hantée par les mythes, le folklore et les traditions orales. Après avoir exploré les fables maritimes dans The Lighthouse et la mythologie viking dans The Northman, le voilà remontant à la source de la légende vampirique avec Nosferatu, remake du long-métrage éponyme de Friedrich Wilhelm Murnau, soit l’une des pierres angulaires de l’expressionnisme allemand et l’un des premiers films d’épouvante de l’histoire du cinéma. Un défi d’autant plus ardu à surmonter que Nosferatu n’est rien d’autre qu’un plagiat officieux de Dracula, roman depuis maintes fois adapté à l’écran, sans même évoquer l’autre Nosferatu, déjà un remake, mis en scène par Werner Herzog en 1979.


La première chose qui frappe en voyant cette nouvelle version, c’est qu'elle n’essaie jamais de réinvestir l’expressionnisme allemand qui a fait la gloire de son aïeul. Alors qu’Eggers avait dressé un hommage appuyé à Murnau et au cinéma muet dans l’esthétique de The Lighthouse, Nosferatu limite son tribut à quelques jeux d’ombre sous forme de clin d'œil et préfère trouver son propre chemin esthétique. Le film s’impose ainsi comme un puissant héritier du romantisme noir européen, multipliant les visions gothiques, les églises lugubres aux lignes épurées et les panoramas bucoliques inspirés des peintures de Caspar David Friedrich. Au travers de plans-séquences lancinants et de zooms progressifs, Eggers dévoile son univers funèbre avec minutie, distillant une atmosphère rampante teintée de mélancolie, le tout dans des cadres souvent savamment composés. Le soin accordé aux décors, costumes, mais aussi aux dialogues, très littéraires et sophistiqués, contribue fortement à l’immersion dans ce XVIIIème siècle maudit et démontre encore une fois le sérieux avec lequel Eggers traite la dimension historique dans ses films. On ne peut qu'apprécier la démarche du cinéaste, qui embrasse la facture classique de son conte gothique sans compromis ni humour, quitte à flirter avec la caricature - l’accent roumain du Comte Orlok pourra prêter à sourire.

Nosferatu, de Robert Eggers
© Universal Pictures BE

Hélas, passée une première demi-heure très impressionnante, cette virtuosité millimétrée  finit par empeser le tout. Chaque travelling vertical, chaque zoom, chaque panoramique semble clamer pompeusement l’arrivée imminente d’un mal insondable, terrifiant, indéfectible. Mais à filmer chaque scène avec cette même langueur vénéneuse, Eggers frôle la monotonie et finit par désincarner quelque peu ses personnages et son intrigue. Une sensation d'engourdissement d’autant plus prégnante que le scénario suit scrupuleusement le déroulé de l’original - et donc, de toutes les adaptations ultérieures de Dracula - jusqu’à aboutir à un programme composé d’épisodes trop rebattus (le voyage vers la lande, la visite au château, l’arrivée du navire fantôme, l’évasion de l’asile, etc).


Certaines plus-values thématiques méritent cependant d’être relevées. Ainsi, cette version 2024 place le personnage d’Ellen Hunter (Lily-Rose Depp, comme possédée) au centre de son écriture. Si le sous-texte sexuel était déjà larvé dans les versions de Murnau et d’Herzog, il est ici plus frontal : le lien que la jeune femme entretient avec le monstre se concrétise comme une alternative libidineuse et émancipée à la vie bien rangée qui l’attend avec son mari. Un traitement qui offre au film quelques beaux éclats - notamment une scène de sexe assez malaisante - et donne une épaisseur à Ellen, assez inactive dans les anciennes versions. Dommage que les autres personnages ne bénéficient pas d’un traitement aussi moderne et se contentent d’agiter - avec efficacité - leur archétype de cinéma fantastique.


Somptueuse mais rigide, envoûtante mais sans grande surprise, cette nouvelle version de Nosferatu ne manque pas de fulgurances mais demeure un peu sage pour être autre chose qu’un fascinant livre d’images. 



RÉALISÉ:  ROBERT EGGERS

AVEC : LILY-ROSE DEPP, NICHOLAS HOULT, BILL SKARSGARD, WILLEM DAFOE

PAYS : ÉTATS-UNIS

DURÉE: 132 MINUTES



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