
Certains films comme Les Graines du Figuier sauvage semblent presque inextricables du contexte dans lequel ils ont été réalisés. L’histoire de la production de ce drame iranien, conçu en réaction au meurtre en 2022 d’une étudiante, Jina Mahsa Amini, par la police des mœurs iranienne, est presque aussi passionnante que le film en lui-même. Tourné en secret entre décembre 2023 et avril 2024 pour éviter les représailles, le film a échappé de peu aux autorités, au même titre que son réalisateur. Les images ont été transportées clandestinement, pour être montées en Allemagne. Elles seront finalement suivies par leur auteur, Mohammad Rasoulof, qui pour échapper à une lourde peine de prison traversa à pied la frontière, quelques heures à peine après avoir appris sa sentence. La finalisation du film, et sa présentation en Compétition officielle du Festival de Cannes, tiennent du miracle, au point qu’il en devient difficile de savoir ce que l’on célèbre lorsqu’on salue Les Graines du figuier sauvage : le film en lui-même, ou l’acte de rébellion qu’il représente ? Un peu des deux sans doute. À vrai dire, tout se confond dans ce drame familial glissant vers le thriller : le public et le privé, l’État et la famille. Et surtout le réel et le fictionnel.
Dans sa petite galerie de personnages, le film nous présente en premier lieu le père, Iman, un homme à priori ordinaire, qui vient d’être promu au poste à haut risque d’investigateur de la Cour Révolutionnaire, l’obligeant à signer des condamnations à mort dont il questionne la légitimité. Il y a ensuite la mère, qui soutient son mari fidèlement depuis toujours, et représente par procuration son autorité. Et enfin, il y a leurs deux filles, Rezvan, l’aînée, étudiante, et Sana, la cadette, admiratrice de sa grande sœur. C’est par leur entremise que le réel surgit dans la fiction du film : à l’insu de leurs parents, les deux jeunes femmes regardent des images des manifestations du mouvement “Femme, vie, liberté”, qui réveillent petit à petit leur conscience politique.

Bientôt l’extérieur fait irruption à l’intérieur : une victime mutilée par la police apparaît et une arme à feu disparaît de l’appartement familial, deux événements qui révèlent les maux familiaux, et par là, ceux de l’Iran. Alors que la paranoïa d’Iman redouble d’intensité, son autorité de père se confond avec celle de l'État. Émissaire d’une théocratie autoritaire, il en devient l’instrument, dans sa vie professionnelle mais aussi et surtout dans sa vie privée. Le film glisse alors vers le territoire du thriller, rappelant, accidentellement peut-être, les chemins labyrinthiques pris par le Shining de Kubrick. C’est aussi là que les talents de Rasoulof s’exercent le mieux, jouant sur une tension ostensible, plutôt que sous-jacente.
Né dans la clandestinité, et réalisé sous de multiples contraintes, Les Graines du figuier sauvage n’est pas sans écueils. Certains placements de caméra sont quelque peu discutables, de nombreuses scènes sont fort sombres, ce qu’accentue la colorimétrie du film, assez terne. Difficile d’aller jusqu’au bout de ses idées de mise en scène lorsque chaque minute de tournage est une prise de risque. D’autres problèmes sont davantage d’ordre narratif : on pourra reprocher au scénario une caractérisation un peu vague de ses personnages, en particulier autour des deux jeunes filles, un symbolisme fréquemment lourd, ou quelques dialogues qui manquent d’élégance, bien que les acteur·ices soient convaincant·es. Mais la frontalité du film est, quelque part, son essence. Comme l’apprennent certains personnages, il n’y a pas de compromis possible face à un patriarcat qui étouffe et tue les libertés. Il n’y en a pas non plus dans la démarche des Graines du figuier sauvage, qui refuse absolument d'édulcorer ses idéaux face à un régime qui impose ses codes.
Réalisé par Mohammad Rasoulof (Iran / Allemagne / France, 168 minutes) avec Misagh Zare, Soheila Golestani, Mahsa Rostami, Setareh Maleki.