Sur la piste de l'Araignée
Les deux premiers longs-métrages flirtaient sérieusement avec le fantastique : il y a d’abord eu Shelley (2016), l’histoire d’une mère porteuse dont la grossesse vire au cauchemar, suivi de Border, romance inattendue entre deux êtres qui ressemblent à des humains mais qui n’en sont pas vraiment… Lauréat du prix Un Certain Regard 2018 au Festival de Cannes, Border a assuré à son auteur une reconnaissance internationale – et une sélection de son nouveau film dans la course pour la Palme d’Or en 2022.
Ce troisième opus apparaît d’emblée comme différent de ses films précédents. Déjà, car l’action ne se déroule pas au Danemark, où le réalisateur est installé, mais en Iran, dont il est originaire. Le film débute en pleine nuit, dans la ville de Mashhad : une jeune femme quitte son domicile et arpente les rues désertes. On comprend rapidement qu’elle est en recherche de clients. Un homme l’embarque en moto après lui avoir montré avoir de quoi la payer. Mais une fois arrivés chez lui, celui-ci la saisit par le foulard et l’étrangle sauvagement. Tandis que la caméra s’élève au-dessus de la ville encore endormie, le titre apparaît lentement sur l’écran : Holy Spider.
Abbasi opte ici pour un ancrage réaliste : Holy Spider est inspiré de l’histoire vraie du « tueur araignée », un assassin de prostituées qui sévissait à Mashhad au tournant des années 2000 au motif de « sauver la ville sainte de la débauche ». C'est dans cette ville importante du chiisme qu'arrive Rahimi, une journaliste bien déterminée à découvrir l'identité de l'Araignée. Dès qu’elle apparaît dans l’image, répondant avec gouaille au réceptionniste de l’hôtel qui refuse de donner une chambre à une femme non accompagnée, on comprend que la reporter n’est pas du genre à se laisser marcher sur les pieds.
Sans trop en dévoiler de l’intrigue, après une première partie centrée sur la recherche du tueur, Holy Spider prend ensuite de l’ampleur, basculant vers un drame sociétal questionnant les valeurs religieuses et morales de la société iranienne – et des nôtres par extension. Car il apparaît que, loin de décrier ses actes, une partie de la ville va se rallier à la « mission purificatrice » de l’Araignée. Après tout, ces femmes qui se prostituaient n’ont-elles pas eu que ce qu’elles méritaient ? Quelle valeur a la vie d’une femme qui vit dans le péché ? Dans sa quête pour rendre justice aux victimes du tueur et à leurs familles, Rahimi aussi aura droit à son lot de remarques sexistes et de mépris de la part des autorités.
Au-delà de l’aspect « true crime », on sent ainsi dans Holy Spider la volonté de questionner les spectateurs et spectatrices sur la place des femmes dans la société iranienne, et du poids de la tradition patriarcale et religieuse. Des questions qui, à l’instar du parcours du réalisateur, transcendent les frontières, car l’Iran est loin d’avoir le monopole du sexisme, et les meurtres de femmes à cause de leur genre, qu’elles se prostituent ou non, est un fléau international. Un questionnement que le scénario vient parfois contredire cependant, puisque la puissante mais très violente scène d’introduction se répète plusieurs fois inutilement au cours du film avec des victimes différentes. Sans mauvais jeu de mots, on serait presque tentés d’y voir un certain racolage…
Mais in fine, si Shelley et Border évoluent dans un genre différent que Holy Spider, les films d’Abbasi se rejoignent dans leur façon de questionner la société dans son rapport à l’altérité, dans la peur et le rejet de l’autre, de celui ou celle qui est différent. « Je n’ai pas voulu faire un film sur un serial killer, mais sur une société de serial killers » explique son auteur. Holy Spider peut être ainsi vu comme une exploration philosophico-politique en forme de thriller, porté avec force par Zar Amir Ebrahimi, sacrée meilleure actrice à Cannes pour son interprétation de Rahimi.
RÉALISÉ PAR : ALI ABBASI
AVEC : ZAR AMIR EBRAHIMI, MEHDI BAJESTANI, ARASH ASHTIANI ET FOROUZAN JAMSHIDNEJAD
PAYS : DANEMARK, ALLEMAGNE, FRANCE, SUÈDE
DURÉE : 118 MINUTES
SORTIE : LE 26 OCTOBRE