À l’ombre d’Elvis
Quelle image avez-vous de Priscilla Presley ? Si vous avez vu Elvis, le biopic boursoufflé de Baz Luhrmann sorti en 2022, vous vous représentez sans doute une femme à la crinière noire et aux faux cils allongés, plus jeune que son mari, mais en parfaite adéquation avec ce dernier. C'est l'image dont s'est également éprise la culture populaire, cristallisant en quelques traits celle qui fut la compagne d'Elvis Presley pendant une dizaine d'années.
La Priscilla qu'Elvis rencontre au début du nouveau film de Sofia Coppola est toute autre. Sans maquillage prononcé, sans gigantesques courbes capillaires, elle n'est pas une femme, mais une jeune fille de 14 ans vivant dans le giron de ses parents. Impossible de ne pas grincer des dents devant les marques d’intérêts du chanteur pour sa cadette de dix ans. Elle, n’y voit que du feu, éblouie par sa présence.
Épousant son regard, comme elle l'a fait avec tant de ses protagonistes (Virgin Suicides, Lost in Translation), Sofia Coppola s’attache aux désirs naissants de Priscilla, nous emportant dans l'étourdissement et l'ivresse d'une jeunesse éberluée d’être au côté d’un des hommes les plus convoités de la planète. Pendant que les filles de son âge rêvent d’un Elvis qui n’existe que sur papier glacé, elle a droit au vrai, et l’attrait est trop puissant pour résister. Avant même d'avoir atteint l'âge adulte, la voilà accueillie à Graceland, domaine familial sur lequel règne le « King of Rock'n Roll ». C'est là que le déséquilibre inhérent à leur relation se révèle complètement, dans toute sa nature insidieuse et étouffante. Loin des gens de son âge, elle se retrouve sous la coupe d'un homme manipulateur, infidèle, absent, puéril et prompt aux accès de colère.
C’est Jacob Elordi qui prête ses traits au musicien, un choix plutôt malin. Devenu lui-même la coqueluche d’un certain public adolescent grâce à la trilogie romantique The Kissing Booth, il joue de son sex-appeal pour mieux le déconstruire : son Elvis oscille entre séduction, prédation et bouffonnerie. Il n’arrive cependant pas à faire assez d’ombre pour éclipser Cailee Spaeny, toute en nuance dans le rôle-titre. Parfaitement convaincante en Priscilla jeune fille, elle l’est autant en Priscilla Presley, femme sous emprise. Contrairement aux autres héroïnes de Coppola, qui rêvent souvent leur existence accoudée à la fenêtre (voir le dossier Sofia Coppola), contemplant ce que le monde pourrait avoir à leur offrir, Priscilla n’a pas ce luxe. Ses désirs d’adolescentes ayant, sur le papier, été exaucés, elle en est comme prisonnière. Il n’y a pas d’horizon à regarder à Graceland, les fenêtres de la demeure étant cachées par des tentures qui tamisent la lumière et couvre d’un voile l’extérieur. Dans ces pièces sombres, qui ne sont pas vraiment les siennes, Priscilla erre, attendant le retour d’Elvis, en tournée ou en tournage, peinant à se réveiller d’un rêve désenchanté.
On perd presque patience à attendre son réveil, la deuxième heure du film ne parvenant pas tout à fait à ajouter quelque chose à ce que la première heure rend parfaitement clair. Adapté du récit autobiographique de Priscilla Presley, le film (qui a été notamment été produit par cette dernière) semble suivre assez fidèlement les étapes de celui-ci, là où on aurait peut-être aimé voir Sofia Coppola prendre certaines libertés avec la réalité, comme elle a pu le faire avec Marie-Antoinette. Mais les faits ont sans doute leur importance lorsqu'on déconstruit un mythe comme celui d’Elvis.
Il ne surprendra personne d’apprendre que cette version alternative, qui affine l’image de Priscilla Presley tout en abîmant celle de son mari, ne contient aucune chanson de ce dernier. Les droits lui ont évidemment été refusés. Mais cette contrainte est une bénédiction pour le film. Libérée de sa musique, la réalisatrice est à même de proposer une bande-son qui correspond davantage à Priscilla qu'à Elvis. Une manière comme tant d'autres de la libérer de son ombre.
RÉALISÉ PAR : SOFIA COPPOLA
AVEC : CAILEE SPAENY, JACOB ELORDI, DAGMARA DOMINCZYK, DEANNA JARVIS
PAYS : ÉTATS-UNIS
DURÉE : 110 MINUTES
SORTIE : LE 3 JANVIER