Sœurs et bleus
Deux personnages roulent dans la nuit. On perçoit à peine leurs visages, seule la tension est palpable et mange l’espace: d’abord le silence de l’homme qui dégage pourtant une certaine agressivité, la vitesse anormale de la voiture, et les quelques réponses abruptes qu’il jette à l’autre. Ensuite l’autre, la femme au téléphone. Une voix qui se maintient et s’accroche pour rester ferme, toujours à deux doigts de se briser. Elle parle de sa fille à récupérer, semble broder le fil décousu d’une conversation banale avec sa sœur au bout du combiné.
C’est le début d’une longue nuit, d’une angoisse et d’un traumatisme qui laissera longtemps ses marques. C’est aussi un moment qui liera deux femme, étrangères l’une à l’autre. Cette nuit, Aly (Selma Alaoui), visiblement en danger, contacte la police et c’est Anna (Veerle Baetens) qui se trouve au bout du fil. D’abord, le coup de téléphone sonne peu sérieux, égaré mais peu à peu la situation se clarifie : Aly semble en danger et dans l’incapacité de s’exprimer librement. Une complicité naît entre ces deux étrangères, elle ira au-delà de ce coup de téléphone.
Avec cette ouverture, qui reprend l’essentiel d’Une sœur, son court métrage multiprimé et nommé aux Oscars, Delphine Girard nous accroche dès le départ. Malgré le peu d’éléments dont on dispose, elle fait brillamment de ces quelques instants un huis clos qui interrompt peu à peu le souffle. C’est aussi le moment-clé sur lequel la suite du drame se noue. Poursuivant le récit avec cette adaptation en long-métrage, elle nous raconte ce qu’il se passe au-delà de cette nuit qui se prolonge et qui paraît impossible à quitter, habitant désormais l’esprit et le quotidien de chacun des personnages : celui de Dary (Guillaume Duhesme), l’homme qu’Aly accuse de viol, celui d’Aly qui tente de survivre à cette nuit et celui d’Anna, qui en devient l’unique témoin.
Tout au long du film, la réalisatrice explore et expose les manières dont les protagonistes composent avec cet évènement. On est révoltés de voir l’accusé balayer ce moment d’un revers de main et tenter de poursuivre sa vie comme si de rien n’était, bien qu’il semble, au fur et à mesure, vouloir se convaincre lui et ses fantômes; on est révoltés de ce que subit cette femme visiblement détruite, et dont le reconstruction est lente. La cinéaste approche tous ses personnages avec finesse et peut compter sur le jeu subtil de chacun des acteur·rices.
Quitter la nuit aborde le moment de suspension après le choc. C’est l’attente et le questionnement de la justice - finalement quelle est-elle quand on est marquée à vie? Au-delà de ces interrogations, c’est aussi une fiction sur la reconstruction et la sororité. Selma Alaoui déploie les différentes déclinaisons d’une femme forte qui tente de tenir le coup sans toujours y parvenir. Veerle Baetens, en amie et soeur de circonstances, incarne parfaitement l’idée que chaque fois qu’une violence est faite à une femme, nous la portons toutes.
Le film s’appuie sur un casting de choix, y compris pour les personnages secondaires : Anne Dorval (J’ai tué ma mère) prête ses traits à la mère de Dary qui préfère fermer les yeux tandis que le rappeur et acteur Gringe joue l’ex-mari encore un peu épris. Pour être honnête, ceux-ci ne servent pas aussi bien le récit qu’on l’aurait cru, parfois un peu loin du jeu dont nous avions l’habitude, surtout pour Anne Dorval, qui a déjà brillé tant de fois dans des rôles similaires.
Quitter la nuit tient la route, se reposant beaucoup sur son point de départ, qui soulève des questions essentielles et témoigne de la difficulté encore présente de porter plainte pour viol dans notre société. Les écueils sont entre-autres la violence de la procédure, celle que l’on s’inflige à soi de doute et de culpabilité mais aussi la violence de l’attente, de ce sentiment d’être suspendu et des verdicts qui ne rendent pas ou pas réellement “justice”.
RÉALISÉ PAR : DELPHINE GIRARD
AVEC : SELMA ALAOUI, VEERLE BAETENS, GUILLAUME DUHESME, GRINGE, ANNE DORVAL
PAYS : BELGIQUE, FRANCE, CANADA
DURÉE : 108 MINUTES
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