Bruxelles-Raqqa-Bruxelles
Deux frères, deux trajectoires tragiques. Le plus vieux, Kamal figure de la scène rap bruxelloise et dealer à ses heures perdues s’exile en Syrie avec la police aux trousses. Le hasard des allégeances religieuses pousse son groupe dans les bras de Daech et il découvre une nouvelle sorte d’enfer. Le plus jeune, Nassim, idolâtre son frangin malgré la rumeur publique et doit en subir le prix. Entre les deux, leur mère Leila qui fait tout ce qu’elle peut pour sauver ses fils face à des autorités belges au mieux paralysées, au pire incompétentes.
Le moins qu’on puisse dire, c’est que Rebel est une proposition de cinéma audacieuse pour Adil El Arbi et Bilall Fallah. D’autant plus que les deux cinéastes belges se sont fait une place ces dernières années à Hollywood avec Bad Boys for Life (2020), deux épisodes de la série Miss Marvel (2022) et Batgirl, film annulé avant sa sortie après la fusion entre Warner Bros et Discovery il y a quelques semaines. Sauter du grand divertissement aux processus de radicalisation, il fallait oser. Rebel n’est d’ailleurs pas seulement un drame social et politique… mais aussi une comédie musicale.
Étonnamment, ce mélange fonctionne bien et ne laissera pas ses spectateurs et spectatrices indemnes. La violence n’est pas spectaculaire mais tranchante, les bombardements à Alep étouffants, le régime de Daech décortiqué jusque dans ses dimensions les plus affreuses. On a rarement vu un long-métrage belge reconstituer avec autant de maestria un conflit armé et ses embranchements tentaculaires ; la caméra des réalisateurs ne se refuse aucun plan, elle suit ses personnages sous les balles et entre les explosions, dans les rues de Bruxelles ou les sables du désert. Et tout ça avec un budget qui n’arrive pas à la cheville d’une production hollywoodienne moyenne !
Les scènes chantées, qui empruntent au montage et aux effets des clips, donnent encore plus de liberté à la réalisation et lui permettent d’intégrer naturellement rap et danse contemporaine au récit. Si elles sont une des grandes forces de Rebel, l’une d’entre elles peut poser question. Sans trop en révéler, elle décrit allégoriquement un viol. On est heureux que les réalisateurs aient évité de sublimer la violence sexuelle, comme ils l’avaient fait dans Black (2015), et qu’ils aient donné la parole à la victime à travers le chant, mais la question se pose : faut-il esthétiser des scènes de viol, même pour les décrier, et au risque de les euphémiser ? Le portrait fait de la vie quotidienne à Raqqa, capitale de l’État islamique, suffit amplement à décrire le statut des femmes et les violences auxquelles elles devaient faire face.
Rebel ne plaira pas à tout le monde. Sa description des forces de l’ordre et de l’administration belge, toujours figurées par des acteurs et des actrices aux visages flous, est particulièrement féroce. Le long-métrage ne se limite pas non plus à une étude de cas ou à un récit manichéen. Kamal subit plus qu’il ne choisit son enrôlement, en Belgique la situation des endoctrinements est facilitée par l’ostracisation. Le titre du long-métrage symbolise toute cette ambiguïté… Sera-t-il visionné comme un spectacle ou comme l’histoire tragique d’une génération qui s’est perdue et qui, peut-être, a été sacrifiée ?
Difficile à dire mais une chose est sûre : il mérite d’être vu et si possible dans une salle de cinéma. Il s’agit peut-être de l’œuvre la plus aboutie de ses cinéastes, à la fois déchirante mais généreuse dans ses effets, bluffante techniquement mais d’une humanité sans limites avec ses personnages. Les prestations d’Aboubakr Bensaihi (Kamal) et Lubna Azabal (Leila) sont d’ailleurs à souligner pour leur justesse. Curiosité au milieu des productions cinématographiques belges, le film vous suit et vous hante, bref, bouleverse par son ambition d’aller jusqu’au bout, tout au bout de son mouvement.
RÉALISÉ PAR : ADIL EL ARBI ET BILALL FALLAH
AVEC : ABOUBAKR BENSAIHI, LUBNA AZABAL, TARA ABBOUD ET YOUNES BOUAB
PAYS : BELGIQUE, LUXEMBOURG ET FRANCE
DURÉE : 135 MINUTES
SORTIE : LE 5 OCTOBRE 2022