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Camille Wernaers

Critique : She Said de Maria Schrader

Plongée dans les arcanes de l’affaire Weinstein

© Universal

« Je leur dis que je ne peux pas changer ce qui leur est arrivé mais qu’ensemble nous pouvons protéger d’autres personnes. » C’est en substance le conseil que donne la journaliste du New York Times Megan Twohey (Carey Mulligan) à sa collègue Jodi Kantor (Zoe Kazan) dans le film She Said, alors qu’elles cherchent à convaincre des femmes à témoigner sous leur vrai nom. Le long-métrage retrace l’enquête sur les violences sexuelles commises par le surpuissant producteur de cinéma américain Harvey Weinstein. Une enquête publiée en octobre 2017 qui donnera de l’essor au mouvement MeToo et qui sera récompensée en 2018 par le prestigieux Prix Pulitzer.


Si beaucoup de choses ont été écrites sur cette affaire, il a fallu du temps avant qu’Hollywood ne s’en empare. Un documentaire est bien sorti en 2019, L'Intouchable Harvey Weinstein, et certains films semblent y faire référence, comme l’anxiogène L’Assistante de Kitty Green, sorti la même année. Basé sur le livre écrit par les deux journalistes et réalisé par Maria Schrader, à qui l’on doit la série Unorthodox mais aussi plus récemment le film Je suis ton homme, She Said est le premier long-métrage de fiction qui s’attaque directement à Weinstein.


À la manière de Spotlight, le récit lève un voile sur le travail scrupuleux mais plutôt méconnu des journalistes d’investigation : la déontologie à respecter, les interviews qui débordent jusqu’au milieu de la soirée, les coups de pression de la part de l’équipe de Weinstein. Le film ne fait pas l’impasse sur la charge émotionnelle qu’implique de travailler sur une telle enquête qui arrive d’ailleurs dans un contexte particulier : à ce moment-là, plusieurs affaires de harcèlement sexuel ont été traitées par les journalistes du New York Times, dont celles impliquant Donald Trump. Même si l’histoire ne comporte pas trop de suspense - on sait que l’article sortira in fine - la réalisation menée tambour battant permet de s’accrocher au quotidien des deux investigatrices, entre désillusions et réunions de rédaction.


À ce titre, il est intéressant qu’un film se penche en détail sur cette enquête et nous permette de la vivre viscéralement de l’intérieur : il a souvent été dit que MeToo est un mouvement de libération de la parole des femmes, mais ce sont plutôt les oreilles de la société qui ont été obligées de s’ouvrir, notamment grâce à un plus juste traitement des violences faites aux femmes par certains médias qui ont un rôle à jouer sur cette question. Le récit montre d’ailleurs toute la difficulté qu’ont ces femmes à prendre la parole publiquement pour dénoncer, à faire confiance à des journalistes pour raconter ces violences et leurs conséquences dévastatrices sur leur vie et leur carrière.


Pour le reste, le film est un biopic assez classique, rehaussé par la présence d’Ashley Judd qui joue son propre rôle (elle est l’une des actrices, avec Rose McGowan, citée par son nom dans l’enquête du New York Times). Après la publication de l’article, plus de 80 femmes témoigneront avoir vécu de la violence de la part d’Harvey Weinstein, qui a été condamné en 2020 à 23 ans de prison et qui doit désormais répondre de cinq nouvelles accusations d’agressions sexuelles. Il encourt jusqu’à 140 ans de prison supplémentaires.


Au-delà de la nécessaire déflagration constituée par le mouvement MeToo, qu’est-ce qui a changé pour les femmes dans le milieu du cinéma ? C’est l’une des questions que l’on peut se poser après avoir vu le film car She Said interroge en creux les rapports de pouvoir et la place des femmes au sein de l’industrie cinématographique. Il a été présenté aux médias lors du Festival du film de Gand en octobre, et autant dire qu’il était doucement ironique de visionner un tel film dans une salle entièrement remplie de chroniqueurs cinéma masculins. RÉALISÉ PAR : MARIA SCHRADER

AVEC : CAREY MULLIGAN, ZOE KAZAN, PATRICIA CLARKSON ET ANDRE BRAUGHER

PAYS : ÉTATS-UNIS

DURÉE : 129 MINUTES

SORTIE : LE 23 NOVEMBRE



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