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Photo du rédacteurLouis Leconte

Dossier : 5 films qui convoquent le western pour repenser la mythologie américaine

Dernière mise à jour : 24 oct. 2023

À l’occasion de la sortie de Killers of the Flower Moon de Martin Scorsese, l’équipe de Surimpressions a eu envie de mettre en avant cinq films qui, comme le nouveau long métrage du réalisateur new-yorkais, convoquent l’univers du western pour repenser l’histoire des États-Unis. Ces films s’emploient tous, d’une manière ou d’une autre, à tordre le narratif du western classique et à déjouer le mythe du héros blanc viril véhiculé par ce genre fondateur du cinéma américain.


The Power of the Dog – Jane Campion (2021)


Les frères Phil (Benedict Cumberbatch) et Georges (Jesse Plemons) Burbank sont propriétaires du ranch le plus important de l'État du Montana, et c’est bien la seule chose qu’ils partagent tant leurs tempéraments sont aux antipodes. Lorsque Georges, le cadet, épouse Rose (Kirsten Dunst) et l’intègre au foyer fraternel, Phil décide de faire de la vie de Rose un enfer. Pour cela, il trouve le moyen idéal : s’en prendre au fils de Rose, Peter (Kodi Smit-McPhee), dont la personnalité tranche avec la virilité ambiante.


© Netflix

Jane Campion (Sweetie, La Leçon de Piano) n’avait pas réalisé de long-métrage depuis 2009 et le film Bright Star. Pour son retour au cinéma, la réalisatrice néo-zélandaise décide d’adapter le roman The Power of the Dog (1967) de l’écrivain américain Thomas Savage et de se confronter au western pour la première fois de sa carrière. À la convergence de plusieurs genres (thriller, drame, romance), le film se construit comme une lente montée en cruauté et en tension psychologique. Campion s’empare frontalement de la question de la virilité dans le western en proposant à l’écran d’autres figures masculines et en présentant la virilité comme une performance de soi. Le film est porté par Benedict Cumberbatch, parfaitement convaincant dans un registre qui ne lui est pourtant pas familier : celui du bourreau sadique. Saluons également les performances de Kirsten Dunst et de Jesse Plemons qui, à la faveur de quelques pas de danse échangés devant les paysages grandioses du Montana, nous offrent ce qui s’était imposé à sa sortie comme l’une des plus belles scènes de l’année.


There Will Be Blood – Paul Thomas Anderson (2007)


À cheval entre deux siècles (le XIXème et XXème) et plusieurs États américains, There Will Be Blood suit le parcours entrepreneurial de Daniel Plainview (Daniel Day-Lewis), bien décidé à devenir un magnat du pétrole, peu importe le prix à payer…


© Paramount Vantage

À l’instar de Stanley Kubrick, Paul Thomas Anderson (dit « PTA ») s’est attaqué à plusieurs genres cinématographiques au cours de sa carrière de cinéaste : le film choral avec Magnolia (1999), la comédie romantique avec Punch-Drunk Love (2002), et plus récemment le teen-movie avec Licorice Pizza (2021). Mais contrairement au réalisateur d’Orange Mécanique, dont la volonté assumée était de réaliser le film terminal de chaque genre dont il s’emparait, le projet de PTA est moins ambitieux mais peut-être plus intéressant : partir d’un ensemble de codes connus pour mettre en scène d’autres récits, d’autres situations. Avec There Will Be Blood, PTA part des prémices du western (un homme seul sur les routes de l’Ouest poursuivant un objectif quelconque) pour proposer une allégorie de la naissance du capitalisme à travers l’exemple de l’exploitation prédatrice des ressources pétrolières sur le territoire américain. Librement adapté du roman Pétrole ! (1927) de l’auteur américain Upton Sinclair, le film traite également des thématiques de la famille et de la religion. Le film bénéficie d’une mise-en-scène épurée de laquelle jaillissent plusieurs moments spectaculaires, et privilégie les plans fixes afin de capter au mieux les performances remarquables de Daniel Day-Lewis et de Paul Dano, dont la confrontation électrique témoigne du talent considérable des deux acteurs. (Disponible sur Sooner et sur LaCinetek)


First Cow – Kelly Reichardt (2020)


Cookie (John Magaro), un cuisinier blanc, se lie d’amitié avec King-lu (Orion Lee), un immigré chinois. Ensemble, ils vont développer un petit commerce de beignets au miel dans l’Oregon du début du XIXème. Problème, l’opération est dangereuse car elle implique de devoir voler quotidiennement le lait de la seule (et première) vache présente sur ce territoire reculé.


© A24

La cinéaste américaine Kelly Reichardt signe avec First Cow l’un de ses films les plus aboutis. Le film synthétise plusieurs thématiques chères à la cinéaste (l’amitié, l’histoire américaine) et propose un contre-modèle aussi bien cinématographique que sociétal. Sociétal, d’abord, puisqu’aux antipodes de l’exploitation capitaliste prédatrice dont rend compte There Will Be Blood (lire ci-dessus), First Cow envisage l’entreprenariat et le développement économique sous le signe de la joie, de l’émancipation et du respect du vivant. Cinématographique, ensuite, puisque loin de l’action frénétique matricielle du western (et d’une partie écrasante du cinéma américain grand public) Kelly Reichardt privilégie la stase et s’attarde, comme à son habitude, sur les petits gestes qui font la banalité du quotidien, tout en portant sur ses personnages un regard d’une grande délicatesse. Dans cet Ouest reculé, présenté comme un melting-pot culturel, ancré dans une époque qui précède d’un demi-siècle les cow-boys de western, Kelly Reichardt pressent pourtant que les rapports économiques régissent déjà les rapports sociaux, et qu’une violence sourde est au travail.


Comancheria (Hell or High Water) – David Mackenzie (2016)


Les frères Toby (Chris Pine) et Tanner (Ben Foster) Howard organisent le braquage de plusieurs agences d’une petite banque texane. L’objectif de ces braquages ne sera révélé qu’en cours de récit. À leurs trousses, un duo de shérifs vieillissants incarnés par Jeff Bridges et Gil Birmingham.


© Lionsgate

David Mackenzie ancre son récit dans la réalité contemporaine et propose une radiographie de l’état social des États-Unis en se servant des codes du western. Le film se pose en témoin d’une période de transition qui voit le mode de vie traditionnel des cow-boys être chassé par les forces de la modernité. En témoigne cette scène au didactisme appuyé qui réunit dans un même plan un cowboy sortant d’une épicerie et montant sur son cheval, et une voiture rutilante dont le bruit du moteur effraye la monture ancestrale. Ainsi, les casinos ont remplacé les saloons, et le format scope ne sert plus seulement à embrasser les paysages grandioses de l’Ouest américain, mais aussi à rendre compte de l’état de sa ruralité, industrialisée et précaire. David Mackenzie assume par ailleurs une critique frontale des banques qui font leur beurre sur le dos des plus infortunés. Les schémas du western se répètent, mais aujourd’hui ce ne sont plus les colons blancs qui dépossèdent les Amérindiens : la lutte des races s’est transmuée en lutte des classes.


La Porte du Paradis – Michael Cimino (1980)


Wyoming, 1890. La puissante Association des Éleveurs de Bétail voit d’un mauvais œil l’arrivée massive d’immigrés venus d’Europe de l’Est sur leurs terres. Celle-ci va donc engager des mercenaires pour assassiner 125 de ces immigrés dont les noms ont été inscrits arbitrairement sur une liste funèbre. James Averill (Kris Kristofferson), shérif fédéral issu du même milieu social que les leaders de l’Association, mettra tout en œuvre pour empêcher ce massacre et sauver sa communauté d’adoption.


© Carlotta

La Porte du Paradis traîne une lourde réputation : le troisième long-métrage de Michael Cimino fut un désastre commercial à sa sortie, et l’histoire du cinéma lui a attribué la lourde responsabilité de la faillite de la United Artists, qui a produit le film, ainsi que celle de la fin du Nouvel Hollywood. Rien que ça. Bien que les maux prêtés au film soient excessifs, la carrière de Michael Cimino en a considérablement pâti ; le réalisateur du Voyage au Bout de l’Enfer (1978) n’a jamais pu retrouver sa juste place à Hollywood. Heureusement, le temps a fini par rendre à ce chef-d’œuvre du cinéma sa juste considération.


« - Ça devient dangereux d'être pauvre dans ce pays. - Ça a toujours été le cas. » Cet échange entre Kris Kristofferson et Jeff Bridges résume bien la teneur politique du film. La conquête de l’Ouest parachevée, les Amérindiens acculés dans leurs réserves ont laissé la place à une nouvelle classe de pestiférés : les émigrants européens venus tenter leur chance au “pays de la liberté”. C’est donc au mythe du rêve américain que Cimino s’en prend dans cette fresque gargantuesque de trois heures trente. Si le film est si long, c’est que le cinéaste s’émancipe des diktats traditionnels relatifs au rythme de la narration pour prendre le temps de mieux regarder ses personnages. Le réalisateur déploie son récit sur plusieurs échelles et sa mise en scène parvient tout aussi bien à sublimer les rapports intimes qu’à cultiver la monumentalité des paysages, des décors (reconstitués avec un remarquable sens du détail), et des événements historiques. Il se peut d’ailleurs qu’aucun western, ni a fortiori aucun film de l'histoire du cinéma, n'ai jamais capté la beauté métaphysique des grands espaces américains comme le fait Cimino dans ce film. Avec La Porte du Paradis, Michael Cimino réalise l’exploit de mêler le souffle épique des meilleurs westerns avec une grande exigence naturaliste, et aboutit ainsi, sans conteste, à l’un des plus grands films de l’histoire du cinéma américain.


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