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Photo du rédacteurJulien Del Percio

Dossier : L’Exorciste de William Friedkin

Dernière mise à jour : 17 oct. 2023

Terreur inaugurale

© Warner Bros.

Peu de films fantastiques ont eu autant d’influence sur leur propre genre que L’Exorciste. À l’époque, le public avait été frappé par cet imaginaire inédit de la possession démoniaque, ce mélange inattendu entre un réalisme revendiqué - le long-métrage s'ouvre avec la citation désormais galvaudée “tiré de faits réels” - et l’effroi presque grotesque suscité par la jeune fille habitée. Cinquante ans plus tard, les ersatz du film de Friedkin se multiplient encore - La Malédiction, Le Dernier Exorcisme, The Conjuring, entre autres - mais peu d’entre eux ont su répliquer la singularité et la fascination du chef-d'œuvre inaugural.


Le long-métrage doit beaucoup à la vision tourmentée de son réalisateur, William Friedkin. À l’époque, le cinéaste sort tout juste du triomphe critique et commercial de French Connection et se trouve au firmament de sa carrière. Lorsqu’il s’attaque à l’adaptation du roman éponyme de William Peter Blatty, il a donc les mains libres et transforme le récit original en une lutte mythologique entre le Bien et le Mal, tout en s’appuyant avec attention sur la véritable affaire.


Car s’il y a bien un élément qui distingue L’Exorciste de ses héritiers de qualité variable, c’est bien son sentiment de réalisme. Friedkin vient du documentaire et cette orientation initiale va conditionner son style pendant toute sa carrière, même dans ses projets les plus atypiques. Le cinéaste ne recherche ni la tension, ni le suspens, mais préfère une tonalité plus descriptive, presque froide, qui ancre le récit dans une réalité tangible. L’Exorciste est d’abord l’exposé minutieux d’un glissement inéluctable vers l’hypothèse fantastique : face au changement de comportement de sa petite fille, la mère jouée par Ellen Burstyn s’entretient d’abord avec un médecin généraliste, puis se tourne vers un neurologue, puis vers un psychiatre, avant d’enfin recourir en désespoir de cause à l’exorciste. L’arrivée de celui-ci, après une heure trente de métrage, est un grand moment de cinéma : doté d’un chapeau et d’une valisette, nappé dans une atmosphère mystique qui évoque le fameux Empire des lumières de René Magritte, il est la silhouette lugubre qui entraîne le basculement définitif du film dans le surnaturel.


Qui dit Diable, dit foi. En bon agnostique, William Friedkin ne fait pas de ses prêtres des bienfaiteurs sans défaut - là où beaucoup de films plus récents, la saga Conjuring en tête, cèdent au prosélytisme. Dans l’une des premières scènes, le Père Karras, le personnage qui va aider la famille et assister l’exorciste dans le dernier acte, se fait soudainement alpaguer par un sans-abri à la mine patibulaire, qui lui hurle qu'il est un ancien enfant de chœur et qu’il mérite la charité de l’Église. Le père Karras l’observe un instant, la mine interdite. En une courte scène, Friedkin dresse l’état des lieux d’une foi décrépie, aux figures défaillantes, sans réponse face à la misère grandissante. La suite du long-métrage ne contredira pas ce propos : malgré la ferveur avec laquelle il est accompli, le rituel d’exorcisme sera un échec et c’est bien une sorte de suicide, soit l’un des péchés capitaux aux yeux de l’Église, qui sauvera l’enfant du démon. Un comble !


Dès le début de sa carrière, William Friedkin était le cinéaste de la zone grise et de l’ambiguïté. Si L’Exorciste demeure son long-métrage le plus célèbre aux yeux du public, c’est peut-être parce qu’il concrétise avec une rare énergie visuelle ses obsessions. Les images stupéfiantes qui composent le film - le face-à-face avec l’idole satanique en Irak, les tremblements épouvantables du lit, l’élévation silencieuse du corps de Linda Blair - trouvent leur source dans l’esprit d’un cinéaste déjà fasciné par la tentation du Mal. On en tremble encore.


RÉALISÉ PAR : WILLIAM FRIEDKIN

AVEC : ELLEN BURSTYN, LINDA BLAIR, JASON MILLER

PAYS : ÉTATS-UNIS

DURÉE : 122 MINUTES

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