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Dossier : Rire avec ou du film


Burn After Reading de Joel & Ethan Coen (2008) © Studiocanal

Le rire peut-il être mètre-étalon de la qualité d'un film ? D’OSS 117 à Sharknado en passant par De Funès et Dupieux, exploration du sens de l’humour au cinéma.


“Éclats”. Dans ce simple mot, que ne renierait pas Olivier de chez Carglass, réside tout ce qui fait le rire. Les idées de puissance, de surprise et de réaction pulsionnelle. Mais aussi et surtout celle d’éclatement, rappelant la nature hétérogène du rire.


Car pour un groupe de spectateurs composant une même salle de cinéma, l’expérience du rire, ses tonalités, ses hauteurs, ses rictus, différent… tout autant que l’intention que ceux-ci infusent dans leur ricanement. La question se pose alors : que signifient ces éclats de rire ? Rire devant un film, dans une salle de cinéma, est-ce pour ce dernier un quelconque gage de qualité ? Rit-on toujours AVEC le film ou bien parfois DU film ?


L’humour c’est sérieux


Comédie romantique, musicale, horrifique, absurde, nanar, satire… Peu importe le style, une blague a toujours la même structure. Il y a une phase de préparation qui vise à créer des attentes chez son auditoire. Puis vient la chute, qui doit être en décalage avec les prévisions mentales du spectateur. C’est cette incongruité qui est à l’origine du rire.


Un décalage qui dépend d’abord du contexte de visionnage d’un film. Au regard de nos normes sociales, morales ou esthétiques, rira ou ne rira pas. Ainsi, le film comique joue souvent avec les références culturelles et cinématographiques communes, pastichant les codes de films cultes. On rigole d’autant plus devant Scary Movie que Scream, normalement effrayant, nous est familier. Il joue aussi avec les normes sociales, mettant en scène des personnages à la limite de ce qu’il est convenable de faire en société. Comme les immoraux Marx Brothers ou le décalé Monsieur Hulot. Pour la même raison, il est plus difficile pour des non-francophones de rire devant OSS 117, tant les références sont franco-françaises.


Ce sont aussi les qualités intrinsèques du film qui font naître en nous un bidonnage en règle. Les films comiques ont leur propre grammaire. Plans fixes, hors-champ, profondeur de champ permettant d’habiller l’espace de gags secondaires (comme dans les films Top Secret ou Y’a-t-il un pilote dans l’avion des ZAZ, pour Zucker-Abrahams-Zucker), donnent une vraie place au spectateur : il est actif. C’est encore cette tendance au masochisme bénin, véritable loi de Murphy faisant flirter les protagonistes avec la mort, qui nous pousse à rire avec le film. À l’image du récent Sick of Myself de Kristoffer Borgli qui offre une catharsis à nos frustrations pulsionnelles.


Rire AVEC le film : une expérience collective ou solitaire ?


Lorsqu’une comédie remplit son contrat, son intention de susciter le rire corrobore ses effets : des gloussements qui font grincer les strapontins d’une salle de cinéma. Mais rire AVEC le film doit valoir la peine, car cela nous rend vulnérable, nous pousse sous les projecteurs à la merci du jugement des autres.


Il y a un monde entre De Funès et Quentin Dupieux. Rire devant l’un ou l’autre, même si aimer les deux n’est pas incompatible, ne dit pas la même chose de nos valeurs : le rire est quelque chose de subjectif qui nous rappelle à nos milieux sociaux. Chaque éclat de rire dans une salle de cinéma, c’est un risque pris. On se dévoile. Quand le rire est partagé, chaque spectateur peut ressentir un sentiment d’appartenance sociale. Dans le cas contraire, si le rire est solitaire, se joue le scénario de la faute culturelle, pouvant attiser des réactions agacées. Ainsi, un film comme Les Banshees d’Inisherin de Martin McDonagh navigant à la limite du drame et de la comédie noire, a pu créer des situations d’incompréhensions culturelles, certains spectateurs éclatant de rire devant l’absurdité de cette fin d’amitié abrupte, quand d’autres furent touchés par la détresse du personnage incarné par Colin Farrell, devant tant de cruauté.


Ce rire solitaire peut aussi être une tentative de distinction sociale. Pour montrer que l’on a saisi l’humour que seuls des initiés à l’univers du réalisateur, au 7e art, sont en mesure de capter. Ce rire entendu, de connaisseur, positionne d’emblée ces spectateurs au-dessus de la “masse”.


La plupart du temps, malgré ces cas particuliers de rire solitaire,“notre rire est toujours le rire d’un groupe” comme le rappelle Bergson. Cependant, même si l’on rit en harmonie, et parce qu’il est possible de faire plusieurs lectures d’un même film, rit-on finalement pour la même raison ?


OSS 117 : Le Caire nid d'espions de Michel Hazanavicius (2006) © Gaumont

Rire DU film : entre moquerie et passion


Devant une œuvre cinématographique, notre rire peut aussi se faire frondeur, transgressif. Il agit alors en lieu et place d’une autre réaction attendue par le cinéaste, nous faisant plutôt rire DU film.


Ce rire peut tout d’abord être jugeant, agressif, prenant la forme “d’une protestation explicite, devant une impression vraiment (trop) grande d’illogisme” selon le théoricien du cinéma Christian Metz. Ainsi, l’astuce scénaristique du Deus Ex Machina faisant intervenir un élément narratif sorti de nul part pour sauver un protagoniste ou régler une situation mal embarquée, peut paraître désagréable et frustrante, et être à l’origine d’un rire noir acerbe et grinçant. À l’image de la fin du Seigneur des Anneaux, Le Retour du Roi, dans lequel des aigles géants apparaissent pour sauver in extremis Sam et Frodon, alors dans une très mauvaise passe.


Dans le cas des nanars, si l’on se rit aussi de ces films ratés et bancals, de vraies communautés de fans se créent et portent en admiration ses “gueules cassées”, des frères Peter et David Paul (Les Barbarians) à Robert Z’dar (Maniac Cop). La moquerie flirte avec l’amour. À l’image des chefs-d'œuvre du genre comme Turkish Star Wars de Çetin İnanç, The Room de Tommy Wiseau ou Troll 2 de Claudio Fragasso, ces films tirent leur succès de leurs faiblesses involontaires.


Ce qui n’est pas le cas des comédies nanardesques comme Sharknado, Sky Sharks, Zombie Shark, Sharktopus (il faut aimer les requins). Ces films à petit budget, produits par des sociétés comme The Asylum, copient les nanars. La différence réside dans l’intention. Car ici, les comédies nanardesques sont volontairement ratées, les producteurs s’étant rendu compte de la manne financière que représentent les nanars. On rigole donc toujours du film, mais ce dernier a été pensé à cette fin, a perdu son âme.


Sur l’échelle de Rirechter : Le rire comme mètre-étalon de la qualité d’un film ?


C’est un grand oui. Les films maniant le rire et l’horreur ont en commun de pouvoir physiquement quantifier la bonne réception de leurs histoires. Certaines productions, à l’image de la série Friends qui tournait deux fois ses épisodes en présence du public, une première fois pour tester les blagues et changer celles qui ne fonctionnaient pas avant de tourner une deuxième fois, avaient bien compris l’importance du rire comme mètre-étalon de la qualité de sa production. Des spectateurs qui rient devant un film sont un facteur rassurant concernant la bonne facture et le succès du film.


Mais tout est évidemment plus complexe. Si la qualité d’un film entre en ligne de compte pour provoquer le rire, se joue aussi la question du contexte. Le rire d’une salle de cinéma remplie de spectateurs, dépend de la relation qui se crée entre le film et son public, mais aussi entre les différentes personnes du public. Ne l’oublions pas : le visionnage d’un film est une expérience partagée et active.

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