Nous y sommes : le soleil décline, les pluies s’exacerbent, les feuilles dégringolenttristement de leurs branches…Bientôt, les devantures des commerces s’orneront de toiles d’araignées monstrueuses et de citrouilles au rictus grotesque. Bientôt, viendra la fête d’Halloween, et avec elle son lot de films d’horreur et d’images chocs, particulièrement pour les plus jeunes.
Nous avons toutes et tous nos traumatismes cinématographiques. Souvent, cela remonte à la petite enfance, avec un film d’animation qui se révèle plus impressionnant que les autres et qui creuse un sentier singulier dans notre esprit. Pour ma part, je n’oublierai jamais mon premier visionnage de L’Échine du Diable de Guillermo Del Toro. Je devais avoir huit ou neuf ans, j’étais devant le poste de télévision avec ma grand-mère, qui était persuadée de regarder un drame sur des orphelins désespérés lors de la guerre civile espagnole. Quelle ne fut pas sa surprise - et la mienne - lorsque le spectre d’un enfant, noyé et défiguré, se mit soudainement à déambuler dans les corridors sordides de l’orphelinat. Vous connaissez sans doute la suite : je n’ai pas dormi pendant plusieurs nuits, terrorisé.
Comme tout enfant, je constituais un public à part, d’une certaine manière privilégié. Incapables de prendre la distance nécessaire avec ce qu’ils voient, pas toujours assez matures pour saisir les enjeux d’un récit, les enfants sont frappés de plein fouet par ces nouvelles images, qu’ils reçoivent de manière brute, sans perspective de comparaison. Chaque film trop effrayant laisse ainsi des traces, que les parents prennent parfois des semaines à effacer. Mais, excepté le désagrément de quelques cauchemars, ces petits traumatismes sont-ils vraiment un mal ?
Des années plus tard, j’ai revu L’Échine du diable. J’ai remarqué l’élégance de la mise en scène, la pertinence du regard de Del Toro, la noirceur du message politique. Mais aussi, il faut le dire, j’ai eu peur. Encore. Car le film, qui s’était profondément enraciné dans mon monde intérieur depuis tout ce temps, suscitait désormais un mélange d’appréhension et de fascination, tout en évoquant toujours cette épouvante infantile. D’une certaine façon, cette terreur a bel et bien sculpté quelque chose dans ma curiosité artistique. Un quelque chose qui a laissé une trace, une émotion ensevelie et précieuse.
Alors, faut-il montrer Saw et Hostel 2 à nos chers marmots ? Bien sûr que non. Il y a un temps pour tout et il ne s’agit pas ici de prôner une sur-exposition à la violence à un jeune âge. Cependant, je pense sincèrement qu’on aurait tort de montrer uniquement à nos enfants des films inoffensifs. D'ailleurs, il fut un temps où le cinéma d’animation était capable de susciter le juste niveau d’effroi. Prenez Le Petit Dinosaure et la vallée des merveilles (1988) réalisé par Don Bluth : difficile pour un enfant d'oublier la terreur éprouvée face au tyrannosaure lorsqu’il tue cruellement la mère du héros. C’est précisément cette noirceur, devenue hélas rare dans le domaine du film jeunesse, qui permet à l'œuvre de résonner davantage dans le territoire spirituel de l’enfant, de lui faire comprendre l’ambivalence du monde dans lequel il évolue. Un monde qui peut être tour à tour merveilleux ou cruel, injuste ou clément, angoissant ou joyeux.
C’est la rencontre avec cet autre univers qui laisse une marque aussi forte, parfois à un niveau inconscient. D’une certaine manière, on pourrait même avancer que toutes les peurs successives ne seront qu’une répétition de ce face-à-face précoce. Pour ma part, face à un vrai film de terreur, mon analyse intellectuelle s’effondre, mes critères esthétiques s'effacent, ma contenance d’adulte se dissipe : cramponné sur mon siège, il ne subsiste en moi que l’insondable sensation de peur, l’écho lointain d’un effroi inaugural et édifiant.
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