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Camille Wernaers

Handicap : à quand des salles réellement accessibles ?

La Perche
© Julien Playout

« J’aime aller au cinéma pour les mêmes raisons que n’importe qui d’autre : pour passer un bon moment avec ma copine, qui est aussi malvoyante, et pour voir un film qui m’intéresse », explique Ibrahim Tamditi. « Je suis non voyant depuis ma naissance, je vois la lumière, ce qui m’aide au quotidien, mais pas pour regarder des films. » Le cinéphile a donc besoin de l’audiodescription, qui explique les éléments visuels importants d’un film. « Il n’y a pas beaucoup de séances avec audiodescription en Belgique, je vais donc plutôt au cinéma à Lille, en France », précise-t-il. 


Depuis 2021, il est obligatoire de fournir une version audiodécrite pour les films d’initiative belge francophone tournés en langue française. « C’est la post-production qui nous contacte pour travailler sur l’audiodescription des films. Certain·es réalisateurs et réalisatrices suivent le processus, mais c’est très rare. Ce n’est pas un public qui intéresse beaucoup, c’est considéré comme un budget conséquent pour peu de personnes, qui ne vont même pas au cinéma... C’est un cercle vicieux : les personnes porteuses de handicap ne vont pas au cinéma parce que les salles et les films ne sont pas adaptés », observe Aude Piette, directrice artistique de PAF, une structure d’audiodescription audiovisuelle, créée en 2014. « Pendant longtemps, les salles n’étaient pas équipées de casques pour retransmettre l’audiodescription. Cela n’était possible que lors de certaines séances spéciales, par exemple organisées avec La Ligue Braille, pas souvent pour des films très récents. La technologie a changé et c’est désormais grâce à des applications comme Greta ou EarCatch que passe l’audiodescription d’un film. Quand on y ajoute une audiodescription, le film devient accessible dans toutes les salles de cinéma, il suffit d’avoir l’application. Il ne faut pas isoler les personnes qui les utilisent, elles ont leur casque ou écouteurs et le reste du public n’entend rien du tout. Malheureusement, cela se fait encore très peu et l’obligation est souvent contournée. Il reste aussi à améliorer la qualité des audiodescriptions proposées. Le narrateur ou la narratrice doit se mettre au service de l’œuvre, la faire exister, et laisser parler certains sons, par exemple ne pas dire qu’une porte se ferme alors qu’on l’entend », continue-t-elle. Aude Piette travaille avec des personnes référentes porteuses de handicap qui testent l’audiodescription d’un film et font des retours. Ibrahim Tamditi en fait partie : « J’ai récemment pu voir le film Saint-Ex [qui sortira en décembre, NLDR], et la narratrice a vraiment réussi à faire passer l’inquiétude dans une scène où un avion s’approche d’un train. Va-t-il lui rentrer dedans ? », se souvient-il.


© Julien Playout
La Perche

Initiative lancée tout récemment, en septembre 2024, la PERCHE (acronyme de « Projections Et Rencontres pour Cinéphiles en situation de Handicap ou d’Empêchement ») organise des séances de cinéma accessibles à tous les publics. « Nous sommes l’équipe derrière le Kinograph, un cinéma de quartier ouvert au sein de l’occupation temporaire See U, à Bruxelles. Concrètement, nous étions installé·es dans une salle prévue pour la gendarmerie à l’époque, qui était donc dans son jus ! L’accessibilité du bâtiment était compliquée pour les personnes à mobilité réduite. Nous avons aussi organisé des séances le mercredi pour les mamans en congé de maternité, pour qu’elles créent du lien social. Des aménagements étaient prévus, une lumière restait allumée, les mamans pouvaient se lever pour bercer leur bébé, etc. Un jour, une dame âgée qui était venue voir un film sans savoir que c’était une séance spéciale nous a expliqué que ces aménagements seraient aussi intéressants pour son fils porteur de handicap. C’est comme cela que la PERCHE est née », souligne Sarah Gravier, coordinatrice du projet. Concrètement, les séances sont adaptées de différentes manières : audiodescription, sous-titres sourds et malentendants, qui donnent plus d’informations que des sous-titres « classiques », accès aux personnes à mobilité réduite dans tout le bâtiment, à des places de qualité (pas tout à l’avant ou trop à l’extrémité), boucle à induction magnétique qui permet aux personnes portant un appareil auditif de n’entendre que le son du film, espace relax et lumière tamisée pendant la séance. Un accueil est également prévu pour répondre aux questions. « Tout le monde peut venir à nos séances, même si on sort des codes habituels d’une séance de cinéma. Certaines personnes expriment librement leurs émotions, on peut sortir de la salle quand on le souhaite, etc. Les rencontres après le film, pour en discuter, sont aussi importantes. Finalement, ces séances sont aussi accessibles pour des personnes angoissées ou claustrophobes, qui ne peuvent pas toujours rester enfermées pendant 1h30. Nous réfléchissons désormais à nos tarifs, un tarif solidaire existe déjà, mais les personnes porteuses de handicap sont aussi précaires », précise-t-elle. Plus largement, la question financière intervient aussi quand on aborde l’accessibilité des films pour tous les publics. 


Pour mieux comprendre ces réalités multiples est organisé en Belgique, tous les deux ans depuis 2011, The Extraordinary Film Festival, le TEFF. « Nous sommes un festival de cinéma sur la thématique du handicap. C’est fondamental parce que le cinéma touche les gens par le biais de l’émotion, il est vecteur de changements sociétaux et de sensibilisation », explique Frédérique Leblanc Laniel, directrice artistique du festival, qui constate des améliorations ces dernières années. Comme toutes les personnes rencontrées pour ce dossier, elle plaide néanmoins pour une meilleure prise en compte des personnes porteuses de handicap à tous les échelons du secteur. 


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