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Photo du rédacteurAdrien Corbeel

Here, le rêve américain de Robert Zemeckis

Here de Robert Zemeckis
© Miramax

On pourrait définir le concept du dernier film de Robert Zemeckis comme une imparfaite union entre un cinéma statique et un cinéma constamment en mouvement. Statique, parce que nous ne quitterons pas notre emplacement avant la fin du film, la caméra, immobile, pointant toujours dans la même direction. En mouvement constant, car le temps y est malléable : le salon d’une petite maison cède en un clin d’œil la place à une plaine parcourue de dinosaures, puis à Benjamin Franklin à bord d’une calèche. Voyageant sans cesse à travers les années, Here superpose les époques les unes sur les autres, grâce à des surcadrages – fenêtres sur le passé et le futur. Ce lieu, comme tout lieu, nous souffle le film, est habité par une longue histoire. 


Celle qui préoccupe le plus Zemeckis est, fatalement, celle qui met en scène ses têtes d’affiche, à savoir Tom Hanks et Robin Wright, réunis à l’écran 30 ans après Forrest Gump. Leur histoire, plutôt ordinaire, est celle d’un couple de la seconde moitié du XXe siècle, traversé par le temps, la routine, le désir qui se flétrit, les regrets. Pour raconter à la fois la jeunesse et les années de vieillesse des personnages, le cinéaste de Retour vers le futur, dont l’intérêt pour les nouvelles technologiques n’est plus à démontrer, a choisi de rajeunir leurs faciès. Hanks et Wright font de leur mieux pour jouer la vingtaine, la trentaine, etc., mais l’illusion ne prend pas. Même en faisant abstraction de l’étrange lueur qui se dégage de leur peau lissée, leurs voix de sexagénaires viennent nous rappeler à l’ordre. Ce qui n’empêche pas le film de persister dans sa démonstration technique, allant jusqu’à donner à Paul Bettany et Kelly Reilly, deux acteurs plus jeunes que Hanks, les rôles de ses parents. À cela s'ajoute une inévitable théâtralité à leur jeu, la mise en scène les contraignant à se tourner ostensiblement vers la caméra. 


Here de Robert Zemeckis
© Miramax

Les dialogues et les situations dégagent une même artificialité. Co-scénarisé par Eric Roth (déjà à l’œuvre sur Forrest Gump), le film ressemble trop souvent à un best of (ou worst of) de la vie de ses personnages où il n’y a de la place que pour les grands événements : naissance, mariage, dispute, licenciement, décès, etc. Surligné de partout, Here ne peut pas simplement nous montrer différents êtres humains menant leur vie de tous les jours, il faut que nous puissions saisir exactement chacune de leurs intentions. Un personnage décidant d’arrêter l’alcool ne peut pas simplement reposer son verre, il doit jeter toutes ses bouteilles, et renoncer à la boisson à haute voix -  qu’importe s’il est  seul dans la pièce. 


Par peur de perdre son public, par désir de s’adresser au plus grand nombre, le film n’a de cesse de diluer l’audace de son concept dans ce genre de saynètes peu convaincantes. Le sentimentalisme de Zemeckis, renforcé par la musique délicate mais mièvre d’Alan Silvestri, prend le dessus sur le vertige que créait la bande dessinée de Richard McGuire dont Here est adapté. Ce n’est pas l’inquiétude de l’infinité du temps qui préoccupe le cinéaste, mais plutôt le souvenir ému de ce qui a été et ce qui sera


Mais la nostalgie qui habite Here est trompeuse, ses atours affectés dissimulant un film pas toujours tendre. L’assemblage de ses multiples vignettes forme une fresque de l’Amérique pour le moins amère et désillusionnée. L’aliénation du travail, la domesticité qui emprisonne, la crise économique, la famille comme unité destinée à se déliter, le racisme comme pierre fondatrice des États-Unis, sont autant d’éléments récurrents de ces différents récits. Ce sont seulement ceux et celles qui s’accrochent à leurs propres rêves, plutôt qu’à celui de l’Amérique, qui trouvent un véritable épanouissement dans leur existence. 



RÉALISÉ PAR : ROBERT ZEMECKIS

AVEC : TOM HANKS, ROBIN WRIGHT, PAUL BETTANY, KELLY REILLY

PAYS : ÉTATS-UNIS

DURÉE : 104 MINUTES

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