C’est quoi l’amour ? Vaste question sur laquelle tous les arts, y compris le cinéma, se sont penchés. De l’amour de jeunesse à la romance qui dure, de la camaraderie à l’érotisme en passant par celui de la famille, l’amour prend multiples formes au cours d’une vie. Et dans L’Amour ouf, Gilles Lellouche a fait le pari de toutes les aborder.
Jackie et Clotaire tombent amoureux dans la France des années 80. Elle est une fille à papa studieuse, il est du style cancre issu de famille nombreuse. Les contraires s’attirent, mais les circonstances de la vie vont les séparer. Notamment, la violence qu’a choisi Clotaire comme option de survie. Jackie, elle, rencontre un garçon qui a l’air gentil et qui veut l’épouser. Les saisons s’enchaînent, amis et parents viennent et s’en vont. Et l’amour fou qui les lie ? Survivra-t-il à tout ça ?
Après son premier long Le Grand Bain (2018), le comédien adapte ici un roman de l’Irlandais Neville Thompson paru en 1997. Le résultat est une fresque romantique sur fond de lutte des classes qui s’étale sur plusieurs années. Retrouvant ses partenaires de Bac Nord (2020), Lellouche confie les rôles principaux à Adèle Exarchopoulos et François Civil, tandis que dans la première moitié du film, les versions enfantines de Jackie et Clotaire sont campées respectivement par Mallory Wanecque et Malik Frikah. À leurs côtés, on trouve notamment Elodie Bouchez, Benoît Poelvoorde et Alain Chabat.
Commençons avec les points positifs, car il n’y en aura pas beaucoup : L’Amour ouf est un film à la hauteur de ses ambitions formelles. De la musique en passant par les costumes, les décors et l’esthétique, Lellouche signe une plongée dans les années 80 qui l’ont vu grandir, et le résultat, derrière un filtre rétro jaune-orangé, est foisonnant et soigné. L’alchimie entre Exarchopoulos et Civil est indéniable, tout comme celle des jeunes acteur·rices qui les jouent enfants.
Toutes ces jolies choses sont hélas massacrées à la tronçonneuse par une réalisation aussi tapageuse que tape-à-l’œil. Tel un trapéziste trop zélé, Lellouche fait virevolter la caméra constamment dans tous les sens, abusant éhontément de zooms, travellings et gros plans. Un champ-contrechamp ? Ennuyeux de ouf ! La caméra tourne à gauche, puis à droite, jusqu’à l’épuisement (ou la nausée). On est là pour faire du cinéma, et il n’oublie jamais de nous le rappeler, montant le volume au max pour chaque chanson et chorégraphie – car oui, L’Amour ouf est un film musical aussi. Et un film de gangsters également. Dans un monde qui aime les étiquettes, on salue le choix de ne pas se limiter. Mais à force de tout brasser, ça déborde, ça s’éparpille, ça fatigue, et comme le long-métrage s’étale sur la durée, forcément, ça se ressent. Fort. Tout comme l’influence du cinéma américain, du Nouvel Hollywood à La La Land, sur tout le traitement visuel : à ce stade, ce ne sont plus des clins d’œil, c’est du harcèlement de rue.
Le scénario, enfin, est un festival de clichés – à commencer par le poncif usé jusqu’à la corde en termes de romance hétérosexuelle : celui du bad boy pauvre et de la princesse aisée. Tel un Roméo et Juliette des banlieues, le film confond amour et intensité, et la violence qui s’y exerce est quasi déterministe : de la prison à la relation toxique, aucun des deux héros ne semble pouvoir y échapper. Métro, boulot, baston, dodo. Le tout accompagné d’une écriture à gros sabots, où chaque intention ou émotion est soulignée au fluo, soit par la musique, soit avec des mots. Mais bon, on aura compris que la subtilité n’est pas ici un mot-clé.
C’est quoi l’amour, et peut-il vraiment nous faire changer ? C’est la question que pose le film in fine, et c’est dommage parce que dans tout ce tapage, on perd de vue qu’il y répond plutôt intelligemment, différenciant l’amour toxique et violent de l’amour vrai et bienveillant. Hélas, cela met pratiquement trois heures à arriver. L’Amour ouf s’arrête là où il aurait pu, dû, commencer.