La sortie du deuxième film Gladiator de Ridley Scott, à la fois attendue et redoutée, soulève à nouveau la question : le péplum a-t-il un avenir ? Rien n’est moins sûr.
Il faut dire que la sortie et le succès du premier Gladiator, en 2000, tenaient déjà de l’exception. Le péplum (en anglais Sword-and-sandal) est un genre intrinsèquement lié au développement de l’industrie hollywoodienne. Du muet au parlant, de l’âge d’or aux banqueroutes de studios, il accompagne l’expansion du cinéma américain (et ses liens avec les productions italiennes). Dans les années 1950 et 1960, il devient le canon du grand spectacle avec des longs-métrages comme Les Dix Commandements (1956) de Cecil B. DeMille ou Ben-Hur (1959) de William Wyler. S’il connaît une résurgence dans les années 1980, surfant sur la vague de l’imaginaire reaganien (action testostéronée et représentation viriliste de l’héroïsme) avec des titres plus fantaisistes comme Le Choc des Titans (1981), il perd peu à peu du terrain.
Plusieurs tentatives vont suivre Gladiator premier du nom mais, à l’exception peut-être de Troie (2004), elles ne parviendront jamais à réinstaller sur le trône des thèmes sûrement jugés trop vieillots. Ni La Dernière Légion (2007), ni Centurions (2010), ni L’Aigle de la Neuvième Légion (2011) ne marque leur temps, fournissant au mieux des divertissements moyens, au pire des navets totalement oubliés. Tous sont, qui plus est, des échecs commerciaux, parfois retentissants. Ridley Scott n’a pas plus de chance quand il propose son récit biblique Exodus : Gods and Kings (2014), ne remportant pas le cœur du public ou celui de la critique. Cela décourage les studios et même quand d’autres grands noms tentent l’aventure, comme avec le Noé (2014) de Darren Aronofsky et que les résultats en salles ne sont pas trop mauvais, la formule ne percole pas.
Un genre dépassé ?
Peut-être cela tient-il aux racines mêmes du péplum. Explorant l’antiquité gréco-latine et les récits bibliques, il a pu toucher plus directement des générations dont l’imaginaire était abreuvé par la culture et les symboles classiques. La grande Histoire, d’autant plus qu’elle était très lointaine, et les sources, souvent proches de la légende, offraient à l’industrie une mine débordant d’héroïsme, d’aventures, de leçons morales, qu’il était facile de transposer sur grand écran avec suffisamment de moyens. Mais le XXe siècle se dirigeant vers sa fin, ces références ont commencé à être supplantées par d’autres bornes historiques, comme les deux guerres mondiales. Des événements plus proches, parfois très proches, fournissaient un matériel plus sensible, plus marquant pour un public dont le rapport au temps changeait. D’autres genres ont été entre temps légitimés, comme la science-fiction ou la fantasy ; la trilogie du Seigneur des anneaux est sans doute, par son gigantisme, son ambition visuelle, ses effets de masse, une des plus dignes héritières du péplum au XXIe siècle.
Et puis, il y a eu une autre transformation majeure : la pop culture est devenue la pierre de voûte de la production culturelle contemporaine. Les univers de comics, comme ceux de Marvel ou de DC, sont-ils si différents du monde antique fantasmé et fantasque tel qu’on le représente, avec son panthéon de dieux et de héros ? Ou des grandes fresques bibliques qui racontent comment des peuples sont sauvés du cataclysme par une poignée d’élus ? Il est même frappant de constater que la mythologie a été intégrée et digérée dans ces mondes que le grand spectacle exploite aujourd’hui jusqu’à la corde. Même les rapports de production, avec leurs récits monumentaux, décors immenses, figurants innombrables, action spectaculaire, forment des socles communs, avec la puissance des effets numériques pour différence.
Le succès du premier Gladiator ne semble pas tant tenir de son sujet mais de son traitement et de l’approche de Ridley Scott. Fidèle à une tradition hollywoodienne qui paraît aujourd’hui dépassée, il mettait en scène une histoire de vengeance magnifique, presque naïve dans sa manière de faire advenir un enlacement de péripéties incroyables. Son scénario pouvait encore prétendre à une vision de la justice et du destin, certes déjà assez creuse et artificielle, mais qui a visiblement emporté son audience. Vu les derniers longs-métrages historiques de Scott, du Dernier duel (2021) à Napoléon (2023), beaucoup plus sombres et pessimistes, on peut se demander si Gladiator 2 renouera vraiment avec l’élan de son prédécesseur.
Un avenir décalé
Il est peu probable que le péplum se réimpose comme un grand genre fédérateur ou regagne sa centralité dans l’industrie actuelle. Cependant, justement parce qu’il n’est plus à la mode, il peut devenir un terrain d’expérimentation plus intime ou original. Une tentative comme celle d’Agora (2009) de Alejandro Amenábar, montre par exemple qu’il peut être un excellent véhicule aux interrogations politiques du présent. Même le Megalopolis de Francis Ford Coppola, qui sortira chez nous en fin d’année, convoque la chute de l’Empire romain pour mettre en lumière la décadence de la société américaine contemporaine. Une approche plus directe et plus allégorique de ce genre de thème – l’histoire politique athénienne en regorge ! – pourrait donner d’excellents films sur la politique, la démocratie et leurs faiblesses.
C’est finalement avec la série que le péplum a le plus de chances de survivre. Rome (2005-2007) est aujourd’hui considérée comme un classique et parvient de fait à rendre tangibles l’histoire romaine et ses luttes de pouvoir. Dans une veine plus légère, Spartacus (2010-2013) et la récente Those About to Die (2024) continuent de faire de l’action dramatique en costume un matériel spectaculaire semble-t-il apprécié (malgré ses scénarios bas du front et un male gaze particulièrement cynique). Le format sériel est plus souple, généralement moins coûteux… Et qui sait ? Le genre pourrait revenir en grâce, Hollywood n’étant jamais à l’abri d’une poussée de nostalgie pour les grands titres de son répertoire. C’est difficile à imaginer aujourd’hui. Mais l’histoire du cinéma est, comme celle d’un scénario de péplum, pleine de rebondissements.