Après de multiples courts-métrages fantaisistes et la merveilleuse tragicomédie Une vie démente, le duo de cinéastes belges revient avec une comédie romantique voluptueuse : Le Syndrome des amours passées. Rencontre.
L'une des toutes premières scènes du film est une des plus absurdes : un gynécologue informe un couple que pour enfin réussir à concevoir, ils vont devoir coucher à nouveau avec tous leurs exs - la seule manière pour eux de dépasser un blocage psychologique baptisé le
«syndrome des amours passées». Comment rend-on convaincant un postulat aussi saugrenu ?
Raphaël Balboni : On a essayé plein de choses. Au départ c'était une voix-off ! C'est une scène compliquée parce qu'elle nous fait rentrer dans le concept du film, c'est un peu touchy. Il fallait que le gynécologue parle vite, parce que s'il parlait de manière trop posée, trop longtemps, il y a trop de questions qui allaient venir. On l'a mis dans cet amphithéâtre, avec les élèves qui passent, il y a une petite urgence, entre deux cours. Il fallait aller vite.
Ann Sirot : C'était une scène charnière dans le film, il fallait bien la placer. Je pense qu'on l'a répété 6-7 fois. Mais pour nos besoins, pas forcément ceux des acteurs.
Votre méthode, de film en film, repose beaucoup sur les répétitions et l'improvisation Comment mettez-vous ça en place ?
Raphaël : On fait improviser nos comédiens dans les décors, à partir d'un séquencier plutôt que d'un scénario. On monte ces rushes, et selon ce qui a fonctionné ou n'a pas fonctionné, on réécrit le séquencier d'une autre manière, et on répète à nouveau. On travaille toutes les scènes du film comme ça. Il y a peut-être des scènes qui étaient bien jouées par les comédiens, mais nous...nous on était pas bien. Petit à petit, au fur et à mesure, on travaille les décors, on place la caméra de mieux en mieux, ce qui nous semble le meilleur endroit. Parfois on refait une scène juste pour tester un autre découpage.
Votre approche vous permet de dégager un vrai réalisme des interactions entre vos personnages.
Ann : Je pense que lorsqu'on tourne, nos comédiens sont fort préparés. Ils ont beaucoup de pratique de leur rôle, de façon régulière. Et aussi, on n'utilise pas de textes. Ils revivent la scène mais pas forcément avec les mêmes phrases, la même façon de parler. Ça nous permet de toujours les mettre au présent. Ils ne savent pas par quel autre virage l'acteur en face va passer, et ça les oblige à être très attentif, très au présent de ce qui se passe. S'il y a quelque chose qu'ils n'ont pas compris, ils vont demander à l'autre de le répéter. Tout ça, ça donne un côté vraisemblable au parler. Ils disent « Quoi ?» et ça c'est quelque chose qu'on fait nous tout le temps dans la vraie vie. Dans un dialogue que tu écris pour le cinéma, tu vas t'épargner ce genre d'hésitations. Mais dans ce film-ci, cela leur arrive parfois de demander à quelqu'un de répéter quelque chose jusqu'à trois fois.
Est-ce que donner autant de place à l'improvisation, c'est aussi renoncer au contrôle que vous avez sur le film ?
Ann : En fait, on a beaucoup de contrôle. La seule vraie improvisation se trouve dans les dialogues. Mais on a tout tellement répété, refilmé, réécrit, qu'on contrôle beaucoup ce qu'on fait. Pour pouvoir improviser, tout le reste doit être beaucoup préparé, cadré. Peut-être même plus qu'un film sans impro.
Raphaël : Moi je n'ai jamais eu la sensation que les acteurs ne disaient pas ce qu'il fallait, que ça ne prenait pas la bonne direction qu'on voulait.
Comment vivez-vous les tournages en eux-mêmes ?
Ann : C'est une transe un tournage. On ne dort presque pas
Raphaël : Après, c'est très jouissif.
Ann : C'est comme une grande rando. Tu sais que ça va être génial, mais c'est une aventure, ça va être stressant, difficile sur le moment.
Raphaël : Moi je crois c'est sur le tournage que je m'amuse le plus, mais il y a tellement de stress que j'ai du mal à en profiter. C'est comme si on organisait une fête super sympa, mais que tu n'arrives pas à en profiter, parce que tu dois vider les poubelles, t'occuper de tout. C'est un peu ça. On passe quand même un bon moment, mais c'est un truc énorme.
Une fois le tournage terminé, vous vous retrouvez avec un vrai vivier de dialogues et d'interactions. Comment est-ce qu'on trouve son chemin au montage ?
Raphaël : Nos montages sont longs. Celui-ci a commencé en août 2022 et a fini en février 2023. En bossant tout le temps. Et on est deux monteurs, moi et Sophie Vercruysse. On fait beaucoup d'allers-retours, de changements. On fait aussi des visions tests, 13 cette fois-ci, pour avoir un feedback, savoir où on va. Mais on continue d'écrire le film au montage.
Ann : C'est une poursuite de l'écriture le montage. À chaque étape on affine. C'est comme un bloc d'argile. Un bloc de bois, où tu creuses, tu tailles, jusqu'à ce que tu trouves ce que tu cherches. À un moment, on ne fait plus que des touts petits changements
Raphaël : Et là on se rend compte qu'on est sur des détails et qu'on arrive à la fin.
La manière de représenter l'acte sexuel est une des plus grandes originalités du film : plutôt que de simplement mettre en scène les ébats, vous les représentez sous la forme de danses entre les différents partenaires. Qu'est-ce qui vous a mené dans cette direction ?
Ann : Ce qu'on avait envie de proposer dans ces scènes, c'était de la volupté. Le problème de la représentation de la sexualité, c'est qu'on est souvent à distance. On ne vit pas avec les personnages la volupté qu'ils ressentent. On ne s'identifie pas aux personnages, on est plutôt comme une voyeuse ou un voyeur qui les regarde faire l'amour, mais on n’est pas vraiment à leur place. Ici on est plus dans leur ressenti. On a réfléchi avec les chef de costumes, le chef op et les chorégraphes pour faire exister cette atmosphère.
Est-ce que vous considérez malgré tout Le Syndrome des amours passées comme une comédie romantique ?
Ann : C'est une comédie du remariage, avec un postulat de départ qui donne le sentiment que ça ne va pas être très romantique. Le point de départ nous permet d'aborder plein de choses à propos du plaisir, du couple, du désir dans nos vies, dans nos couples. Tout en s'amusant avec certains codes.
Raphaël : Le public sait ce qui se passe. Si les deux personnages principaux se mettent à courir, ils savent très bien de quoi il retourne, alors qu'ils font un truc absurde. Tout le monde comprend.
Ann : C'est une comédie romantique, mais dans nos termes.