top of page

Rencontre avec Hélène Cattet et Bruno Forzani

Huit ans après Laissez bronzer les cadavres, les cinéastes Hélène Cattet et Bruno Forzani reviennent dans les salles obscures avec Reflet dans un diamant mort. Au travers de l'histoire de John D, septuagénaire qui se replonge dans sa grandiose jeunesse d’espion dans les années 60, le duo bruxellois convoque une multitude de références, de James Bond à la BD italienne. Rencontre autour de cette expérience de cinéma intense, à découvrir à partir du 30 avril.

Reflet dans un diamant mort, d'Hélène Cattet et Bruno Forzani
© Cinéart

Reflet dans un diamant mot est fort inspiré des Eurospy des années 60. Qu'est-ce qui vous a inspiré dans ces films ?


Hélène Cattet : C'était des sous-James Bond…

Bruno Forzani :… mais plus fun !

Hélène Cattet : Plus fun, mais surtout beaucoup plus « cheap» ! C'étaient des séries B italiennes, espagnoles ou françaises qui montraient une image du monde un peu idyllique, édulcorée, pop, une illusion. Ces faux James Bond étaient souvent tournés sur la Riviera, parce que ça donnait un petit côté clinquant, de la « production value » pour pas grand-chose. La Côte d'Azur, c'est le lieu de l'illusion, du luxe, de la richesse, de l'abondance. C'était important de tourner là-bas, car Reflet d'un diamant mort parle beaucoup de l'illusion d'un monde.


Parmi les plus célèbres films de ce genre, il y a Danger : Diabolik ! de Mario Bava, dont le protagoniste est assez vicieux. John D, votre personnage principal, sort du même moule : il a beau être le héros, il est très loin d'être héroïque. Il est très cruel, presque sadique.


Forzani : Danger : Diabolik !, c'est adapté de la BD Diabolik. Dans la BD italienne, le «fumetti neri», les héros sont souvent des méchants. Ça nous a permis de prendre un contre-pied à tous ces films de héros qu'on voit tous aujourd’hui, avec le bien, le mal. Dans Reflet d'un diamant mort, il n'y a pas vraiment une différence entre le héros et l'antagoniste.

Reflet dans un diamant mort, d'Hélène Cattet et Bruno Forzani
© Cinéart

Les performances des acteur·ices ne rentrent pas vraiment dans les codes contemporains. On sent tout de suite que leurs personnages appartiennent à une autre époque. Est-ce que vous avez conseillé à vos interprètes de regarder certains films ?


Forzani : Certains nous ont demandé des suggestions, et on leur a proposé Danger : Diabolik ! et O.K. Connery, qui est un Eurospy avec le frère de Sean Connery, Neil. Mais à chaque fois, on leur disait qu'il ne fallait pas regarder ces films pour avoir du recul. Aujourd'hui, ces films sont plutôt tournés en dérision, et nous on ne voulait pas ça. On leur a dit «Vous jouez les espions, les agents secrets, mais au premier degré».


Comment avez-vous choisi Fabio Testi pour jouer le rôle principal ?


Cattet : En 2010, on a vu Road to Nowhere de Monte Hellman. Ça faisait longtemps qu'on n'avait plus vu Fabio Testi dans un film. Il nous a fait penser à Sean Connery. Et en même temps, comme il était habillé tout en blanc, il nous faisait penser à Dirk Bogarde dans Mort à Venise. On s'est dit que ce serait rigolo de mélanger cet univers à celui d'un James Bond.

Forzani : On a écrit le rôle en pensant à lui.

Cattet : C'était le point de départ de Reflet d'un diamant mort.


C'est Yannick Renier qui joue la version jeune du personnage, un rôle un peu à contre-emploi pour lui…


Forzani : On cherchait quelqu'un qui ressemblait physiquement à Fabio Testi, que ce soit crédible. On a fait des essais au niveau du jeu, et c'était vraiment parfait. Mais il sortait d'un tournage où il avait joué quelqu'un en fin de vie. Il était très maigre. Il a dit «Faites-moi confiance, en 4 mois, je peux prendre 10 kilos de muscle, et je vais transformer mon corps pour devenir le héros». Et effectivement, quelques mois plus tard… C'était le rôle le plus difficile à caster, parce que c'est vraiment un personnage qui est lié aux acteurs anglo-saxons, et imaginer un acteur francophone, c'était vraiment difficile…

Reflet dans un diamant mort, d'Hélène Cattet et Bruno Forzani
© Cinéart

Les espions, ça convoque un imaginaire assez fort dans l'esprit du public.


Cattet : Tout le monde connaît l'univers des James Bond, des super-héros, ce qui nous a permis de les remanier, de les utiliser, de les emmener sur d'autres routes, vers ailleurs, avec des codes que tout le monde maîtrise bien. Après il y a une grosse part d'intuition. C'est sûr qu'on aime bien détourner les choses.


Vous sollicitez dans votre bande-son et dans vos références énormément de films des années 60 et 70. Est-ce que ce cadre est aussi une limite que vous vous fixez ?


Cattet : Il y a une temporalité dans le film à laquelle on se tient. Mais il y a des sources d'inspirations qui viennent d'aujourd'hui, de spectacles qu'on a vus.

Forzani : Il y a tellement de références qui ne sont pas que cinématographiques dans le film. Il y a des choses qui nous ont été inspirées par la photo, par l'art contemporain, par le monde dans lequel on vit, l'actualité.

Reflet dans un diamant mort, d'Hélène Cattet et Bruno Forzani
© Cinéart

Vos films déroutent souvent par leur montage, qui n'est pas linéaire, et celui-ci n'y fait pas exception. Comment appréhendez-vous cette étape de la production du film ?


Forzani : Nous travaillons depuis 20 ans avec le même monteur, Bernard Beets, ce qui fait que nous avons développé une manière de travailler très efficace.

Cattet : Tout est prévu. On n'improvise rien, ni au montage, ni au tournage.Le scénario est pensé visuellement et auditivement.

Forzani : On n’aborde pas une séquence en disant « on va tourner dix plans, et puis on va voir ». Chaque raccord, chaque plan est prévu.


Certains duos de cinéastes se répartissent les tâches : une personne qui sera plus dans la production, l'autre dans le montage, etc. Vous fonctionnez comme ça ?


Cattet : Non, on fait tout ensemble, pour être sûrs qu'on va tous les deux dans le même sens. C'est plus laborieux, et moins efficace…

Forzani :… mais c'est nécessaire. Si tu commences à faire quelque chose seul, tu as ta logique. Si l'autre personne n'a pas participé au processus créatif, ça ne matche pas, ça ne va pas du tout.

Reflet dans un diamant mort, d'Hélène Cattet et Bruno Forzani
© Cinéart

Reflet d'un diamant mort a été projeté au festival de Berlin, mais aussi au Offscreen Film Festival. Comment a-t-il été accueilli ?


Cattet : À Berlin, les gens ont énormément réagi. Il y a des gens qui ont applaudi à plusieurs reprises pendant le film. Beaucoup de rires, c'était une excellente projection. C'était la première fois qu'on montrait le film, on ne savait pas du tout comment le public allait réagir.

Forzani : Ça faisait très festival du film fantastique, alors qu'on était à Berlin !

Cattet : Au Offscreen, les gens ont aussi pas mal réagi. C'était une émotion particulière, parce que c'était la première fois qu'on le montrait à une grande partie de l'équipe.

Forzani : C'est toujours un moment particulier, on vit à Bruxelles. Il y avait beaucoup d'enthousiasme, et ça nous faisait plaisir parce qu'on a fait ce film pour donner du plaisir aux gens.


Est-ce que vous concevez vos films pour qu'ils soient revus plusieurs fois ?


Forzani : Complètement. On imagine la première vision comme une expérience cinématographique.

Cattet : Une expérience où tu vis le film dans ton corps.

Forzani : On veut créer un orgasme cinématographique avant tout. Mais on écrit le film pour qu'il soit revu, et dévoile de nouvelles thématiques.

Cattet : On adore ce genre d'expériences, où tu ressors, et tu es encore avec le film. Tu as envie de le revoir, de le revisiter. C'est le côté ludique du film qui fait que chaque spectateur va avoir sa propre expérience, et qui sera différente de son voisin.




bottom of page