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Photo du rédacteurKévin Giraud

Rencontre avec Pablo Berger et ses rêves de robot

Dernière mise à jour : 29 déc. 2023


© Cinéart

Grand prix de la sélection Contrechamp au festival d’Annecy, Robot Dreams s’écarte des sentiers battus de l’animation contemporaine avec un pari risqué, celui d’un film sans dialogues. Défi relevé avec brio par Pablo Berger, qui livre avec son équipe une œuvre poignante et universelle teintée d’une douce mélancolie. Rencontre. 


Comment en êtes-vous arrivé à réaliser ce film ? 


C’est il y a environ quinze ans que j’ai découvert Robot Dreams, le roman graphique de Sara Varon. Cette lecture m’a beaucoup touché, bouleversé même. Mais à l’époque, je n’imaginais pas en faire un film. Puis, j’ai réalisé Blancanieves et Abracadabra. Après ce second projet, je procrastinais dans mon bureau et je suis retombé sur ce livre, et je l’ai relu. Cette fois, l’émotion m’a submergé. Pas seulement parce que ses qualités étaient toujours évidentes, mais parce que cette fois je voyais le film se dérouler dans ma tête. Quelques semaines plus tard, j’ai eu la chance de pouvoir me rendre à Chicago, où vit Sara, et j’ai pu la rencontrer pour lui proposer cette adaptation, qu’elle a acceptée. C’est ainsi qu’est né Robot Dreams.


Vous passez d’un roman graphique sans dialogues à un film qui en est dénué, mais où le son joue un rôle essentiel.


Avec Blancanieves, j’avais déjà réalisé un film muet, mais pour ce projet je souhaitais pouvoir inclure musique et son, c’était très important. Je voulais que le chien puisse rire, pleurer, crier, que l’on puisse entendre les portes qui claquent, le métro, etc. Mais en même temps, je ne voulais pas de dialogues. Je suis allé chercher les influences de Jacques Tati, ou de Charlie Chaplin à l’époque des Lumières de la ville. Deux cinéastes qui ont réalisé des œuvres sans dialogues, dans un monde de cinéma sonore. Le son permet de créer une dimension supplémentaire au film. Mais cela a été un travail énorme.


Vous passez également de la prise de vue réelle à l’animation, ce changement a-t-il été plaisant pour vous ? 


Ma première question a été : pourquoi est-ce que je veux réaliser ce film ? Réponse simple : parce que j’aimais ce récit. Mais l’autre aspect qui m’a motivé, c’était de découvrir ce que moi-même, en tant que réalisateur de live action, je pouvais apporter à un film d’animation. Cette histoire est chargée d’émotions honnêtes, vraies et subtiles. Je voulais réussir à rendre cela à l’écran sans lourdeur, sans pleurs débordants. Le défi était de réussir à créer ces émotions avec mon équipe d’animation comme je le ferai avec un casting. J’ai eu la chance de travailler avec Benoît Feroumont, un talentueux directeur d’animation belge avec qui nous partageons beaucoup. Il a véritablement été mon compagnon pour créer une animation juste et touchante avec ces personnages. 


© Cinéart

Un récit qui, malgré son look enfantin, parle d’une relation entre deux personnages adultes, avec la mélancolie comme thème principal.


Bien sûr, les personnages sont charmants, mignons, mais l’histoire de Sara Varon est bien celle de deux protagonistes adultes. Cela n’exclut pas les enfants pour autant, car même si les thèmes abordés sont sérieux, nous le faisons de manière simple. C’est un film qui parle d’amitié, de relations, de leur fragilité et de leur importance. Mais c’est aussi un film qui parle de la perte, et de la manière dont nous surmontons celle-ci grâce à nos souvenirs. Il y a beaucoup de nostalgie et de mélancolie dans le film, même si l’humour est également présent, et que le récit s’emballe parfois. C’est une comédie dramatique, un peu comme la vie. 


Le tout, placé dans l’ambiance du New York des années 1980.

 

Dans le roman graphique, la ville où vivent Robot et Chien n’est pas tout à fait définie. C’est peut-être mon ajout le plus important, ce troisième personnage qu’est New York. J’y ai vécu dix ans, je connais très bien cette ville et elle m’a fasciné. L’idée de pouvoir inclure ma lettre d’amour à cette métropole dans le film m’a tout de suite emballé. Mais contrairement au roman, dont le récit est contemporain de sa parution, nous avons choisi de remonter le temps avec le film et d’installer ce décor dans les années 1980. Je voulais faire revivre cette ville qui était un centre culturel et économique du monde à l’époque, et qui l’est peut-être moins aujourd’hui, à l’ère de la mondialisation. 


Cela passe par les images, mais aussi la musique ?


Pour ce film, Yuko Harami, l’éditrice musicale de mes films, et moi-même avons intégré de nombreuses chansons pop des 80’s, pour créer cette atmosphère et ces ambiances. Au-delà de ce décor, je voulais une chanson bien particulière pour représenter la relation entre mes personnages. Dès le départ, la chanson September de Earth, Wind & Fire s’est imposée à moi. C’est un titre qui commence par “Vous souvenez-vous de la 21e nuit de septembre”. Et ce “vous souvenez-vous”, c’est le sujet de Robot Dreams. Cette nostalgie des relations ou des personnes qui ont disparu de nos vies, mais qui sont toujours vivantes à travers nos souvenirs. 


Robot Dreams a été présenté à Cannes, puis à Annecy, et dans bien d’autres festivals. Quelles ont été les réactions du public face à cette histoire ? 


Pour moi, faire des films est un moyen de créer des liens. Cela peut me prendre cinq ans, et le public le découvre en quelques heures tout au plus. Mais j’en suis heureux parce qu’il n’y a rien de plus agréable que lorsque les gens viennent vous partager leur ressenti après la projection. Ce n’est jamais le réalisateur qui achève un film, c’est le public. Je suis toujours avide de savoir comment ils l’ont compris, comment le récit les a touchés. Avec Robot Dreams, qui est si abstrait, je pense que beaucoup de spectateurs remplacent les protagonistes par des personnes qui leur sont proches. On m’a dit : "Votre film m'a fait verser des larmes heureuses, parce qu'il m'a fait penser à un ami d'enfance que je n'ai pas vu depuis de nombreuses années". Un autre spectateur m’a parlé d’une petite amie et de leur rupture. Je pense que le film est ouvert à l’interprétation de chacun. Ici à Gand, il a été vu par une audience d’enfants, et ceux-ci l’ont expérimenté et compris de manière différente. C’était incroyable de les voir danser sur les musiques, réagir au film, et d’entendre les nombreuses questions qu’ils se posaient à la fin. Eux l’ont interprété comme une histoire d’amitié, alors que les adultes le voient parfois plutôt comme une histoire d’amour. C’est un film qui parle à tous les âges, et qui parle aux enfants comme aux adultes de sujets d’aujourd’hui.

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