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Rencontre avec Payal Kapadia, réalisatrice de All we imagine as light

Photo du rédacteur: Elli MastorouElli Mastorou

Dans All we imagine as light, la réalisatrice Payal Kapadia nous plonge dans la fourmilière de Mumbai, pour y raconter trois récits de femmes, avec leur travail, leurs amours, et leurs tracas. Le résultat, reparti du Festival de Cannes avec le Grand Prix, est un film sublime de délicatesse, tout en douceur et mélodies jazz, où les détails de la vie quotidienne racontent toute la complexité des relations humaines.

All we imagine as light, de Payal Kapadia
© September Film

All we imagine as light est sur le fil entre tradition et modernité : d’un côté on est à Mumbai, une ville moderne, avec ses gratte-ciels. Mais les femmes du film sont aux prises avec des concepts du passé, comme le système de castes… 


PK : Tout à fait. L'Inde est un pays plein de contradictions – particulièrement dans une ville comme Mumbai, où il y a une forme de globalisation, mais où la vie quotidienne et les relations sont encore régies par des idées très régressives et démodées. La différence de religion entre le couple dans le film causerait de gros problèmes pour leurs deux familles. Je pense que c’est comme ça dans beaucoup de pays d'Asie, c’est une chose à laquelle nous sommes confronté-es au quotidien. La notion de liberté revêt un sens différent dans différentes parties du monde.  


Pourquoi avoir choisi trois héroïnes ?


C'est un film sur l'amitié entre femmes. J’ai le sentiment, particulièrement dans mon pays, que le patriarcat se met en travers des amitiés féminines. On nous monte les unes contre les autres sans aucune raison (rire) ! Au fur et à mesure du film, j’avais envie que ces femmes arrivent à mieux s’accepter, et à s’entendre. 

All we imagine as light, de Payal Kapadia
© September Film

Comment avez-vous trouvé vos trois actrices ?


Elles sont toutes très connues dans le circuit art et essai, donc je connaissais leur travail. Comme je ne parle pas toutes les langues qu’on entend dans le film, je savais que les répétitions en amont prendraient beaucoup de temps, parce que j’ai besoin de tout comprendre, et je ne savais pas si elles allaient accepter ! Et en fait elles ont été formidables. On a répété les scènes un mois durant, j’ai écouté leurs retours sur les dialogues… C'était comme monter une pièce de théâtre. Et puis au moment du tournage, on était vraiment préparées.


Dans le film, Anu (Divya Prabha) est célibataire, Prabha (Kani Kusruti) est mariée, et Parvathy (Chhaya Kadam) est veuve. À travers leurs récits, vous racontez les différentes étapes de la vie d’une femme…


C'est exactement ça. Au début on voit aussi une très vieille dame qui raconte que le fantôme de son mari vient lui rendre visite. Même après sa mort, il vient l’embêter (rire). Et à la toute fin du film, on voit une jeune femme qui danse : elle incarne la jeunesse, le futur. Je voulais créer un spectre imaginaire de la vie, d'une génération à la suivante.

© September Film
© September Film

C’est important pour vous de raconter ces "petites" histoires du quotidien ?


Je suis comme ça, je réagis à ce qui m'entoure, c'est ma façon de faire du cinéma. Dans mon film précédent (le documentaire Toute une nuit sans savoir, sorti en 2021, NDLR), je racontais ma vie d’étudiante à l'école de cinéma, les grèves qui secouaient le pays... Je ne me dis pas "je vais faire un film sur tel sujet" : je fais des films en réponse à ce que j’observe autour de moi. En tant qu'artistes, on raconte notre façon de voir le monde – et d’y répondre.  


Nous sommes à Cannes, au cœur du cinéma européen. Vous qui venez d’un autre continent, quelle est la question « cliché » qu’on vous pose le plus souvent ?


On me demande toujours ce que ça fait d’être une femme réalisatrice. J'entends toujours que "c'est si difficile pour une femme", c'est la première chose qu'on me dit ! C'est devenu LE truc qui définit la société indienne aux yeux du monde occidental. Et oui, c'est vrai, je ne le nie pas, bien sûr que c'est un problème, et on doit travailler dessus. Mais en tant que femme, j'ai parfois certains privilèges par rapport à des hommes qui sont d'une autre caste ou religion. En ce sens, mon genre n’est pas forcément le facteur principal dans le fait d'être mal représentée ou invisibilisée. Donc c'est un sujet complexe, à l’intersection de plusieurs facteurs, et la complexité des identités dans la société indienne est quelque chose que les occidentaux ne comprennent pas toujours. 

All we imagine as light, de Payal Kapadia
© September Film

Quand on dit cinéma indien, beaucoup pensent à Bollywood… Or votre film n’a rien à voir. On connaît mal la diversité du cinéma indien en Europe.  


Oui, Bollywood est le plus connu dans le monde occidental. Mais en Inde, chaque État est comme un pays à part entière, avec sa propre langue, et sa propre industrie cinématographique : il y a le cinéma malayalam (aussi appelé Mollywood NDLR), tamoul (aussi appelé Kollywood, NDLR) bengali, télougou (tous deux aussi appelés… eh oui,Tollywood ! NDLR) ... Chaque État produit ses propres films, dans sa propre langue, et ils rencontrent leur public. Ces films ont aussi un langage cinématographique régional bien à eux, donc quand on s’y connaît, on peut reconnaître certains traits propres à telle ou telle industrie. Donc oui, le cinéma indien est très diversifié ! On a aussi de très bons réalisateurs de documentaires, comme Shaunak Sen, dont le film All That Breathes a été nommé aux Oscars en 2023 (disponible en Belgique sur HBO Max, NDLR).


Dans une scène du film, un personnage dit « Quand est dans l'obscurité, on essaye d'imaginer la lumière ». C’est de là que vient le titre du film, avec la lumière comme métaphore pour l'espoir ?


Oui, exactement. Parfois quand on se retrouve coincé dans une situation, et on n'arrive pas toujours à imaginer que d’autres possibles existent. Ce titre est une métaphore pour beaucoup de choses que je voulais évoquer. Je l’ai glissé dans les dialogues afin de pouvoir m’en servir comme titre (rire).




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